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Accueil > Revue Intemporelle > No7 - Bonnes nouvelles pour des temps difficiles

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Moebius (suite et fin)

Dans la diversité.
Dans la diversité ! Ce ne serait pas du tout une utopie de béni-oui-oui. Il y aurait la possibilité de se disputer sur des détails pour que les choses avancent vraiment, avec les tensions que cela implique, mais avec la capacité de vivre vraiment.

Avec une marge de sécurité suffisante, une certaine stabilité, et avec une évolution qui soit tentante et intelligible. Parce qu'à l'heure actuelle, c'est inintelligible pour beaucoup de gens, sauf peut-être pour des visionnaires comme nous, qui passons notre temps à essayer de penser et de sentir ce qu'on se prépare à nous-mêmes, et ce qui se prépare.

Un peu au-delà de savoir quel est le sort de la Sécurité sociale, etc., bien que ce soit relié. Parce que même dans cette nouvelle société, dans ce nouvel âge, il y aura des problèmes de sécurité sociale, de maladie, de cancer, de Sida, de crac-boum, parce qu'il y aura un nouveau truc qui arrivera.

Il y aura toujours le conflit entre ceux qui sont pour ou contre les vaccins, ceux qui sont pour ou contre le tout électrique, et, il y aura toujours des fondus qui voudront tenter des expériences, des gens qui partent à l'aventure et qui aiment choquer, des parents qui torturent leur enfant sans le savoir, sans le vouloir, avec les meilleures intentions du monde, et qui font des enfants pleins de rage, et qui veulent se venger et ainsi de suite.

On peut quand même soutenir la gageure, que s'il y a prise de conscience et développement de la conscience, toutes ces choses-là, petit à petit, vont aussi se transformer puisque la conscience transforme ?
Je pense que oui. On pourrait très bien imaginer, par exemple, dans dix mille ans, un scandale dans les journaux à propos d'une chose qui nous paraît anodine à notre époque. On a appris qu'une mère est venue se dénoncer parce qu'elle avait mal parlé à son enfant.

Autre fracas, un type vient d'avouer : "Vous vous rendez compte, pendant deux ans, à l'insu de tous, j'ai fait quelque chose d'épouvantable... j'ai cuit mes aliments" (Rire). Tout le monde : "Aaaaaaagh ! C'est affreux, mais comment et pourquoi ?! C'est contraire à la vie..." L'autre répond :"Bah oui, je sais. Mais vous voyez ça va mieux maintenant.

Et puis merde! j'avais tellement envie !" C'est vrai au fond, s'il avait envie. Ce qui compte, c'est que tout le monde ait compris que la cuisson des aliments est dangereuse. Je fais de l'imagination bien sûr... hein !... de l'utopique...

Tu extrapoles...
Encore un autre : "Moi, j'ai mangé du sucre." "Holà ! il en a mangé." Bon sang ! oui, mais tout le monde est libre, s'il veut en manger il peut. Oui, mais ça met en danger la planète entière, parce qu'à cette époque-là, il y a une éthique, une morale, qui est que porter atteinte à sa propre vie, c'est porter atteinte à la Vie.

Mais, en même temps la liberté c'est très précieux, alors, on est constamment balancé. Et la seule liberté que l'on ait est celle d'aller vers la vérité, la beauté, l'amour. Le reste, ce ne sont que des échappatoires pour ne pas y aller...

Des contraintes que l'on s'impose à soi-même ?!
Des contraintes qui nous sont imposées par les programmes intérieurs dont nous avons hérité. Ce n'est pas seulement cela, parfois ce sont des voies que l'on doit emprunter pour se débarrasser de toute la rage que l'on a.

On ne peut pas accéder à la vie sereine tant que l'on a une once de rage non-exprimée en soi, de colère qui n'a pas été reconnue et de peine qui n'a pas été écoutée. Un des grands espoirs que je mets en cette époque, c'est que nous commençons à assister à l'éclosion d'une société qui ne supporte de ravaler ni sa rage, ni sa peine.

On l'exprime tout de suite. Je sais, ça coûte cher en vitrines brisées, en voitures brûlées, mais ça coûte beaucoup moins que de garder tout ça sur la patate et de se retrouver avec une kalachnikov brûlante entre les mains.

Donc en nommant sa douleur et en la reconnaissant, on peut arriver à la compréhension et aller au-delà.
C'est la seule guérison ! Je voudrais dire aux gens de ne pas s'inquiéter de la soi-disant chute de la moralité de la jeunesse, ni de la chute vertigineuse de l'esprit civique, etc. Cela veut dire qu'on peut se le permettre, même si c'est limite.

On peut l'interpréter, beaucoup le font d'ailleurs, comme étant le cri d'un enfant qui proteste de ne pas avoir été aimé comme il le méritait. Je pense aussi qu'il faudrait qu'on écoute maintenant un peu le cri des Serbes qui nous dit : "Regardez comme nous avons été mutilés puisque nous sommes capables de faire ça !".

Donc, la compassion doit aller évidemment vers les Bosniaques qui prennent des coups, mais nos prières doivent aller encore plus vers les Serbes qui les torturent et qui sont dans une situation que je n'envie pas. Si on me laissait le choix, je préférerais presque être dans Sarajevo que sur les collines qui l'enserrent.

Je suis d'accord. Ce que j'appellerais aussi une bonne nouvelle, c'est la compassion qui commence doucement à émerger dans le coeur de quelques uns...
Oui, la compassion, mais n'empêche que si c'est une attitude que l'on a à l'intérieur, d'un autre côté, il faut absolument leur retirer leurs armes et les arrêter. On ne peut pas supporter ça une seule seconde !

Mais on doit aussi chercher la cause pour comprendre et nous guérir de cette atroce maladie prédatrice.
D'accord, mais ce n'est pas parce qu'on comprend, que d'un seul coup tout s'arrange... Je comprends très bien pourquoi mon fils de quatre ans me donne des coups de pied dans le tibia, mais il fait très mal lorsqu'il a de bonnes chaussures, et je l'arrête, je ne le laisse pas faire. La compassion ne doit pas être un alibi à l'indifférence et à la soumission...

Ni à la complaisance.
Ni à la complaisance, voilà c'est ça ! Il y a des moments où tout le monde doit mettre la main à la pâte. Peut-être que je me trompe, mais je pense toutefois que ma façon d'être utile est de continuer à faire des bandes dessinées.

Nous n'en sommes pas arrivés au point où je devrais poser ma plume pour prendre une arme ou entrer dans une action de militant, cela ne m'intéresse pas vraiment, ce n'est ni ma vocation, ni mon travail.

L'indicateur pour les politiques que leur action est en train de porter ses fruits, c'est que des gens comme moi travaillent librement à faire un art de distraction léger et plaisant. Nous sommes le signe que le pays fonctionne, que la paix est en action.

Tant qu'on peut raconter de petites histoires sans importance apparente, c'est essentiel. Quand on commence à se sentir mal là- dedans, c'est que ça sent le roussi. Il faut qu'Uderzo continue à faire son petit gaulois, que Morris continue à faire le cowboy qui tire plus vite que son ombre, et qu'on ne vienne pas lui dire : "Alors, vous ne faites pas de politique ! Qu'est-ce que ça veut dire de faire des choses pareilles dans le moment où nous sommes ?".

Même pendant la guerre, il continuait à y avoir des choses comme les Pieds Nickelés, pourtant c'était une situation dramatique, tragique même pour tout le monde.

Mais c'est nécessaire.
Il continuait à y avoir des enfants qui lisaient et qui avaient besoin d'être alimentés par d'autres choses que des histoires de vengeance et de mort. Je dis ça parce que dans mon éducation et dans mon histoire, j'ai souvent été confronté à cette espèce de diktat informel qui était : "Engage-toi d'une façon claire dans un sens ou dans un autre".

Prendre position, en somme ?
Prendre position, non seulement en son âme et conscience, à l'intérieur, mais aussi par ses actions. C'est-à-dire, il faut vite s'inscrire à tel parti, amener sa cotisation, défiler, porter des pancartes et au besoin, faire des barricades dans les rues, etc.

Alors, oui, je suis d'accord, mais il faut le faire avec bon coeur. Si on le fait en se forçant pour avoir l'air politiquement correct, pour être comme tout le monde et se dire : "je veux faire partie de ceux qui pensent bien", c'est une catastrophe.

Les gens qui sont dans des situations de responsabilité, en politique ou autre, et qui sont entrés là pour se sentir conformes à je ne sais quel programme ou demande, sont ceux qui font les catastrophes politiques, parce qu'ils n'ont qu'une envie, c'est d'avoir la vérification que ce n'est pas leur place.

Quelle est la meilleure preuve que de provoquer une catastrophe ? Il y a beaucoup de gens qui se retrouvent dans la politique parce qu'on les y a poussés, dans la famille ou dans leur environnement.

Certains disent que des gens comme nous ne sont que des utopistes, que nous sommes trop optimistes, qu'il suffit de regarder, que c'est peine perdue parce que l'homme est foutu et que la Terre dégringole, et que de toute façon il n'y a pas d'espoir ! Que leur dirais-tu ?
Attention, moi je pense que chacun a sa fonction, qu'aucune opinion n'arrive sans raison. C'est la société qui nous crée, à travers l'histoire personnelle, notre relation avec notre famille, nos parents, nos amis, l'Histoire etc.

Il y a toujours de grandes familles de réactions qui se regroupent plus ou moins. Les utopistes sont créés par la société parce qu'elle en a besoin, et les pessimistes catastrophiques également. C'est comme un bateau : il a une quille, des voiles, un gouvernail et une cale avec des rats. Les rats sont essentiels, parce que s'il n'y en a pas ce n'est plus un bateau.

D'ailleurs s'ils sont là, c'est que quelque part il y a une utilité, peut-être celle de débarrasser le bateau d'une autre type de vermine. C'est aussi le signal qu'une certaine discipline est nécessaire pour les maintenir dans leur domaine. S'ils se mettent à déborder sur la table du capitaine, c'est que vraiment ça va mal.

De la même manière, peut-être que la société crée des esprits pessimistes et noirs qui sont des signaux - par exemple les skinheads, les assassins, les profiteurs, les abuseurs etc. Parce que dès que ces gens-là commencent à agir de manière trop visible ou trop efficace, comme la Mafia en Italie, le baromètre monte et c'est le signal absolu qu'il y a de la fièvre, que quelque chose ne va pas et qu'il faut absolument agir.

Les utopistes sont également un symptôme. Si la société nous/vous crée, c'est qu'il y a une utilité. À ce niveau-là, chacun défend sa position, et doit être le meilleur dans le créneau où son histoire personnelle l'a amené. Surtout si on a le sentiment d'y être bien et d'être presque missionné pour ça. Parce qu'on ne peut pas dire qu'on choisit.

Non, on est choisi.
Oui, on ne peut pas dire qu'on ait choisi d'être utopiste. Tout nous y amène et ce parfois au bord de la catastrophe. Moi, je te vois comme une espèce de clocharde. Tu fais des choses, parce qu'on te fait cadeau des espaces publicitaires...

Une clocharde de luxe...
Ouais, une clocharde éthique S.D.F. C'est-à-dire sans définition fixe. Mais, la société a besoin de nous, bon sang ! pour survivre ! Nous sommes des ferments. Pour faire du lin, qui est le tissu sacerdotal traditionnel, il faut prendre la feuille du lin, de l'eau et des ferments, ce qui provoque une fermentation.

Il s'en dégage une odeur absolument nauséabonde. Les anciens Égyptiens mettaient les bacs de décantation du lin, près des endroits sacrés, des temples. Ce qui fait qu'ils étaient toujours environnés d'une épouvantable puanteur.

Une fois que la partie indésirable est putréfiée, on sort les fibres, et avec les fibres on fait ce tissu merveilleux. Qu'est-ce que ça veut dire ? C'est un symbole, c'est une métaphore des ferments sociaux qui sont les agents de la merveille, de l'extase finale.

Les agents de pourrissement et de fermentation, ce sont les assassins, les voleurs, les mal-pensants, les révoltés, aussi les culs-bénis, les fachos, les gens qui résistent à la vie... Tout ces gens-là sont dans l'écologie sociale absolument essentiels.

N'oublions pas qu'un jour nous avons quitté, ou la planète nous a fait quitter, le berceau primordial de l'Éden. Et il ne faut pas croire que dans la Genèse, Adam et Ève aient été dans l'Éden dix ou quinze ans, ils y ont été des millions d'années.

C'est après des millions d'années que d'un seul coup, ils ont croqué le fruit de l'arbre de la connaissance et qu'ils s'en sont eux-mêmes éjectés. Mais qu'ont-ils quitté ? Le paradis de Dieu, mais avec sa bénédiction et ses encouragements en disant : "Vous avez bien fait, mais à partir de maintenant vous allez enfanter dans la douleur".

Donc, qu'est-ce que cela veut dire ? Ça veut dire qu'on enfante dans la douleur notre devenir tout le temps, tout le temps...

Si j'ai bien compris, dans la situation actuelle, les choses sont ce qu'elles sont, mais on peut faire l'analogie avec le lin et la putréfaction, et dire que, de cet état-là sortira un tissu social plus lumineux et immaculé...
Constamment. Il va en sortir un nouveau tissu social immaculé. Et de nouveau il se salira. On ne peut porter un vêtement sans le salir, parce que ce n'est jamais stable et fixe.

Je pense que ce qui nous attend sera quelque chose comme un nouveau territoire. Et les portes de ce territoire sont loin, loin, loin. Ceci dit, il y a une autre chose sur laquelle j'aimerais lancer un modeste message, je pense que l'humanité évolue quoi qu'on en dise.

Elle évolue dans un système un peu ternaire, pour reprendre une terminologie chrétienne, c'est-à-dire que l'humanité passe constamment d'un enfer à un paradis. Mais chacun de ces stades est comme une succession d'étages. Chaque monde ou sphère, a son enfer, au milieu son territoire de maturation stable et puis son paradis.

À l'heure actuelle, nous sommes dans une situation en même temps très favorable et très inconfortable. Aujourd'hui, nous sommes arrivés au sommet de ce qui était possible avec l'ancienne société, avec l'ancienne façon de penser.

Donc, nous sommes dans le paradis de notre ancien enfer. Nous sommes en train d'accéder à un nouveau paradis, mais on y accède par le dessous, c'est-à-dire par l'enfer de ce paradis.

Qu'est-ce qu'un enfer ? C'est une situation qu'on ne comprend pas, qui est indéfinie, inhospitalière, dont nous n'avons pas les codes de survie, donc à laquelle nous ne sommes pas encore adaptés, nous paraissant ainsi très, très inconfortable et très douloureuse.

Toutes les mutations nous amènent à des choses qui sont dures à accepter, qui sont d'abord l'enfer du nouveau paradis.

Mais toutes les situations dans lesquelles nous sommes bien et confortables sont dangereuses parce que c'est le paradis de l'ancien enfer. Voilà, c'est tout ce que je voulais dire. *


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