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Accueil > Revue Intemporelle > No7 - Bonnes nouvelles pour des temps difficiles

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Le Devoir des Rêveurs...

Moebius


Les Humains associés : J'ai constaté, par rapport au thème de ce numéro, que même ceux qui disent : "Bien sûr, il y a toujours de bonnes nouvelles", s'interdisent de le dire, comme s'il était indécent, dans un monde pareil, de dire que quelque chose va bien.
Moebius : Je trouve que l'on vit une époque merveilleuse, puisque toutes les époques sont merveilleuses et tragiques. Car, pour s'améliorer et progresser l'humanité doit constamment se débarrasser de ses anciennes carapaces, et de ses précédentes enveloppes.

Ces carapaces, ces enveloppes sont les systèmes de pensée, les croyances, les systèmes de survie, de maintenance, les systèmes économiques, politiques, etc. Or ces réalités transitoires sont mises en place comme pour l'éternité, alors qu'elles ne sont là que pour répondre à une situation donnée, apparemment fixe, mais qui est en perpétuelle évolution.

Il y a une certaine illusion de stabilité sur environ une génération. Maintenant avec l'accélération de l'Histoire, tout est bien sûr plus rapide, mais la mise en place d'une nouvelle structure et de la présence, du respect, de l'attention, de l'intelligence, de la vie est toujours aussi coûteuse en énergie. Et qu'est-ce que c'est que l'énergie ? C'est de la pensée, de l'imagination, de l'argent, de la justice, de l'efficacité.

Et de l'amour (rire)...
L'amour, bien sûr, inclut toutes ces choses. Évidemment, il y a des époques de mutations majeures, et d'autres mineures. Donc, mutations majeures égale difficultés majeures. J'ai la sensation que nous sommes maintenant, et je ne suis pas le seul à le dire, à la veille d'une mutation majeure.

Pour moi, cette mutation n'est pas seulement une vue de l'esprit ou une hypothèse, elle est très, très concrète dans un de ses aspects, c'est la découverte de la finitude planétaire. On ne peut plus se réfugier dans un renvoi, ni spatial, ni temporel.

Parce qu'il n'y a plus d'espace vierge, d'espace autre, il n'y a plus l'espace de l'autre. On ne peut plus envoyer impunément ses ordures chez l'autre, ni son excédent de population ou d'agressivité... parce que l'autre est exactement chez nous, à cause, ou grâce, à la couverture médiatique planétaire.

Maintenant, lorsqu'il y a massacre au Rwanda, c'est chez nous ! Quand il y a un problème en Yougoslavie, c'est notre problème, pas seulement celui de l'Europe, mais de toutes les nations civilisées, même des Japonais.

Je suis sûr que les Japonais - pourtant ils n'en ont apparemment rien à cirer des Yougoslaves - doivent être troublés, se disant : "Bon sang, mais quand est-ce que cela va s'arrêter !".

Pareil pour les Thaïlandais, les Sud-Américains, les Orientaux, qui sont désemparés. À présent que la presse est internationale, lorsqu'il y a une horreur dans un coin perdu du Bangladesh nous sommes tous touchés.

Il n'y a plus d'espace d'oubli. Artificiellement, on en crée par le silence, mais tout de suite c'est perçu comme un scandale. Il y a toujours quelqu'un pour dire : "Attention, il y a là quelque chose d'affreux et personne n'en parle", que ce soit des problèmes de pollution en ex-Union soviétique, autour de la mer Caspienne, ou des conflits interminables en Amérique latine...

Donc, la planète est "finie", il n'y a plus d'espaces fondamentalement inconnus ou mystérieux, d'endroits où les autres peuvent se taper dessus sans qu'on n'en ait rien à faire. Non, quand les autres se tapent dessus, c'est nous-mêmes qui nous tapons dessus. Quand il y a un problème de centrale nucléaire, il n'y a pas de douanes pour contrôler la pollution.

La pollution n'a pas de frontières, la radioactivité n'a pas de frontières !
Non seulement, il n'y a pas de frontière, mais il n'y a pas de douane. On peut arrêter un instant l'information, comme cela s'est produit en France pour Tchernobyl... mais ce n'est pas parce qu'on ne le sait pas que cela n'arrive pas. Ça c'est une situation mutagène.

Oui, mais c'est en même temps une situation d'opportunité et de crise, comme diraient les Chinois. Parce qu'il y a d'un côté ce que tu viens de dire et tout ce que l'on peut constater, et de l'autre, ça permet aussi de faire émerger le "nous".
Bien sûr, cela a énormément de conséquences. Ce qui est très curieux, c'est que je suis complètement préparé à cela et que j'ai ce sentiment depuis ma plus tendre enfance. Très rapidement, je suis sorti de l'ego national et me suis forgé un ego planétaire, de manière certainement spontanée.

Et cela s'est concrétisé d'une manière curieuse par la littérature de science-fiction. C'est une littérature populaire avec ses bons et ses mauvais écrivains. Cela peut être considéré comme un sous-genre - cela l'est même par certains cotés. N'empêche que cela amène un concept nouveau que nous n'avons toujours pas perçu, celui de l'identité planétaire.

C'est ce qui apparaît à travers cette littérature en permanence. Les habitants de la planète face à un extérieur, à un autre qui n'est plus planétaire, mais extra-planétaire. Le problème très curieux est que cette littérature est essentiellement anglo-saxonne et qu'elle propose l'hypothèse que l'être humain représentatif, sur le plan de conscience planétaire, c'est d'abord le citoyen anglo-saxon. Tous les autres étant fondus dans une espèce de magma, d'identité nationale séparée.

Tu as vu ça ? Même dans Fondation par exemple...
Même dans Fondation, bien entendu, les personnages sont tous des émanations de la civilisation américaine et anglo-saxonne. Une civilisation basée sur ce qu'Edouard Hall appelle à contexte pauvre, c'est-à-dire, un formalisme légaliste. Ce que Bush appelait...

Le nouvel ordre mondial.
C'est ça, le nouvel ordre mondial, l'état de droit. En opposition avec les civilisations anciennes qui sont basées sur un contexte très riche. Toutes les sociétés traditionnelles ont bien sûr des pouvoirs, mais pas ceux de traditions démocratiques.

C'est un pouvoir que l'on donne à quelqu'un de connu. Connu pas seulement pour son action personnelle, mais par sa lignée, parce qu'il est le fils ou le petit-fils d'Untel. Ces sociétés vivent dans un temps beaucoup plus grand que le nôtre.

Le passé a une puissance de maintenance. À présent, dès qu'une chose est finie, c'est fini, cela fait de l'histoire mais c'est de l'histoire en papier. Psiou ! ça s'envole. Il suffit que les gens votent pour un nouveau mouvement, et c'est lui qui fait loi, tout le reste étant renvoyé à l'erreur.

Oui, mais nous voyons aussi surgir et émerger une nouvelle forme de pensée ou de valeurs. Des gens comme toi ou moi y ont toujours cru et ont travaillé pour préparer ce terrain où nos enfants sont, à présent, comme des poissons dans l'eau. Et cela est une excellente nouvelle !
Ouais, ouais, ouais ! Tout à fait ! Mais je pense qu'il n'émerge jamais sous la forme qu'on le croit.

Tant mieux!
Je constate qu'il y a énormément de prévisions et d'idées issues des années soixante qui aujourd'hui sont des faits de société. Notamment, au niveau de la précaution et de la conscience écologique, et de certains systèmes de vie sociale qui sont, à présent, intégrés dans les rapports entre le monde du travail et celui du pouvoir, par exemple.

Évidemment ce n'est pas encore parfait, mais de temps en temps on voit émerger des systèmes de transmission un peu moins pathologiques et sauvages dans la relation entre partenaires sociaux. Ces choses-là, nous les avions vraiment imaginées, mais c'était à travers des mentalités intuitives et romantiques d'adolescents.

Ce n'était pas encore applicable, il fallait que ça infuse, que cela soit pris en charge par les politiques - pour lesquels on pourrait avoir une certaine méfiance - qui sont des professionnels de la gestion sociale. Aujourd'hui, on voit des hommes politiques à l'air très sérieux - avec cravates, gilets, costumes et tout ce qu'il faut - qui, vocabulaire en moins, émettent des idées, mettent en place des structures qui sont, si on y regarde à la loupe, les souhaits formulés dans les années 60/70.

Ils sont passés de l'état de désir à celui de besoin. La conscience du besoin est apparue. Bien entendu, les gens du besoin ne sont pas les mêmes que ceux du désir. Ce n'est pas le même fonctionnement. Ceux du besoin sont beaucoup moins rigolos - étant sérieux et prudents.

Ils se prennent au "sérieux" (rire).
Oui, mais il "faut" qu'ils se prennent au sérieux, sinon rien ne se fait bien. Parce qu'il y a souvent une précaution qui doit être prise pour ne pas léser le tissu social profond. Même si parfois, on est bien obligé de provoquer des catastrophes.

Il y a d'ailleurs beaucoup trop de gens, en ce moment qui vivent la catastrophe, mais on s'arrange dans la mesure du possible et des moyens ; compte-tenu des égoïsmes, des lenteurs, lourdeurs, réticences, et du désir inconscient de vengeance, de colère, de tyrannie qu'ont beaucoup de gens, il faut bien maintenir un certain équilibre et un "minimum" de justice, et cela quelles que soient les tendances politiques.

C'est ainsi que je le vois, du moins dans les pays occidentaux, et en France particulièrement. Il y a des gens dont le métier est de traquer ce qui ne va pas, de le révéler aux autres, et tant qu'il y en aura ça prouvera déjà que tout n'est pas perdu, parce que, lorsque cela va vraiment mal, tous les traqueurs sont baillonnés.

Là, maintenant, les idées des années quatre-vingt-dix naissent de partout, et elles n'ont pas encore de receptacle sérieux où se manifester. Mais, le devoir des rêveurs que nous sommes est de continuer à émettre constamment, de faire marcher notre imaginaire, de n'être ni prudents, ni réalistes, mais d'être vraiment dans le rêve.

Quel rêve ? Le rêve du coeur, c'est-à-dire, là où les choses doivent naître, même si elles ne peuvent pas encore vivre, même si les rêves du coeur sont parfois des agents catastrophiques amenant les plus grandes souffrances.

Alors rêvons ! D'après toi, où nous mène cette mutation ? Parce que les gens disent, d'une façon générale et (surtout) les jeunes d'ailleurs, qu'il n'y a plus de futur, plus de ceci ou de cela, plus de travail, que c'est foutu. Nous, nous pensons que nous allons vers quelque chose, une mutation, qui va se réaliser, mais il faut le temps, c'est à long terme...
Moi je n'ai pas de "y'a qu'à" ! Je ne peux absolument pas donner de prévision à moyen terme, mais à long terme, oui.

Un souhait, une aspiration ?
Oui, mais ce n'est même pas une aspiration. C'est la certitude, et, en fait, ce que j'ai en vue, c'est vraiment quelque chose d'atroce au fond (rire). Je ne sais pas si je peux le dire...

Je pense que c'est beaucoup plus grave et beaucoup plus beau qu'on ne l'imagine. Parce que si ça ne passe pas, on risque de perdre non seulement les avantages de la civilisation, c'est-à-dire ce que nous avons acquis, le confort, la richesse, mais aussi tout ce que cela implique de créativité, de beauté, d'amour, de justice, etc. On risque de le perdre ! Parce que ce ne sont pas des choses qui sont dues.

Ah non, pas du tout !...
On pourrait très bien imaginer un scénario catastrophe où la France et l'Europe retomberaient dans un état de stagnation, de barbarie, et d'obscurité totale !

D'involution même...
Oui, parce que malheureusement il y a des exemples, il suffit de regarder l'Histoire pour voir qu'il y a eu des pays dominants qui sont devenus dominés. Regarde le Moyen-Orient, c'était un endroit merveilleux, une source de connaissance et qu'est-ce que c'est devenu ? Bien sûr, il y a toujours des personnes merveilleuses, mais au niveau de la société, quelle décadence ! Je pense que si nous ne perdons que cela, ce ne sera pas trop mal.

Cela signifierait que c'est à moyen terme que tout s'est écroulé. Par contre, nous ne pouvons nous permettre de perdre la connaissance scientifique. Pourquoi ? Parce que la technologie atomique nous l'interdit.

Rien que ça, cela n'a l'air de rien... Mais c'est énorme ! C'est énorme ! Quand nous sommes entrés dans l'ère atomique, c'est comme si nous brûlions nos vaisseaux. Mais le plus grave serait que notre mode de vie actuel continue à croître, parce que là, la catastrophe serait pire, ce serait la fin de la vie sur cette planète, telle que nous la concevons.

C'est le "Meilleur des mondes" !
Non, ce n'est même pas le "Meilleur des mondes" d'Huxley, c'est la fin du monde, la fin de la vie des mammifères. Bien qu'on puisse à la limite se demander si c'est si grave, n'en déplaise à l'ego de l'espèce, car qu'est-ce qui est important sur cette planète ? Ce n'est pas l'homme au fond, mais plutôt la conscience qui passe à travers lui.

La conscience c'est sympa, c'est un cadeau que la planète se fait - ce n'en est pas forcément un d'ailleurs, mais bon ! c'est la voie qu'elle se donne, même s'il y en a dix mille autres. La disparition de l'homme et de son biotope ne serait même pas la pire catastrophe à l'échelon cosmique, à ce niveau ce n'est rien du tout, parce que la planète reste dans une situation spatiale favorable à la vie.

Même si la pollution devient catastrophique, que tout l'écosystème s'effondre et que les radiations émettent pendant deux cent mille ans, il restera bien encore quelques insectes ou bactéries pouvant redémarrer une nouvelle souche dans la vaste allée du temps; et il y a aura à nouveau des forêts profondes et des océans féconds, il recommencera à y avoir de nouvelles espèces de plus en plus perfectionnées et ainsi de suite.

Donc, la conscience reviendrait avec de nouvelles chances. Nous avons des millions d'années devant nous avant d'arriver à l'extase totale. L'autre alternative, c'est qu'on réussisse à passer la porte, le pont, la passerelle.

Et de l'autre côté, je pense qu'il y a un nouveau territoire de l'Histoire qui est extraordinaire, c'est le territoire de l'union planétaire, dans le respect bien sûr des différences nationales, éthniques, régionales, quartier par quartier, individu par individu. Le paradoxe d'une unité, et de la particularité totale de chacun.

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