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Accueil > Revue Intemporelle > No7 - Bonnes nouvelles pour des temps difficiles

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...À nos marques

Marol


En fait, il n'y a rien à quoi renoncer. Trouvons plutôt élan pour traverser la vie.

Après tous ses élans restreints, l'être humain doit trouver le Grand Élan.

Sri Ma Anandamayi

La bonne nouvelle (eu angelos en grec) seul l'ange en nous peut la voir ! Mais peut-être un jour saura-t-on que rien n'est plus présent que cette bonne nouvelle. On ne parle pas facilement de ce qui nous anime, de ce qui nous paraît à nous si neuf, si nouveau. Mais puisque cette fois telle est la règle du jeu...

Pour les civilisations les plus anciennes, nous sommes tous potentiellement sur cette Terre des "hôtes de marque". Trouver sa marque (là où nous sommes remarquables) est alors trouver le sens de sa vie.

C'est sans doute un des aspects redoutables de notre monde contemporain d'avoir réservé la "marque" au seul domaine commercial.

L'empire du signe a été remplacé par les "espaces publicitaires". La mutation est lourde à assumer et nombreux sont ceux, dans notre civilisation, qui ont perdu leurs marques, qui ne savent plus où ils en sont.

En un temps où les signes dominants sont les sigles des grandes firmes, les monnaies mondiales, les sponsors... où nous nous voulons de plus en plus "planétaires", "unifiés", "mondialistes", "universels" (les épithètes fusent !), en réalité la proportion de celles et ceux qui sont rejetés dans les marges de ce beau "consensus" est accablante.

Curieusement, le marginalisé retrouve le besoin de "faire signe".

Il fait la quête et "s'exprime" dans les rames de métro, il dit sa "faim de siècle", il chante parfois. Étrange retournement où le plus démuni redécouvre le partage, où même une modeste pièce de monnaie est reçue comme un signe fraternel. Il n'est plus question là de pouvoir d'achat, mais de vie, de "signe de vie".

Les historiens parlent généralement du blason comme d'un signe de reconnaissance dans la cohue des batailles. Dans la cohue d'un monde qui l'a laissé pour compte, le marginalisé (celui qui ne compte plus) a un besoin vital d'être re-connu, d'être réellement connu pour ce qu'il est.

À notre époque, à mes yeux, ceux qui redécouvrent spontanément le sens du blason, ne sont pas les "élites", mais les "paumés", ceux qui ne savent plus où aller et se posent vraiment la question : "qu'est-ce que je fais là ?...".

Ce jeune homme assis dans un recoin de gare pour faire la manche, portait tatoué sur sa gorge un superbe papillon. Nous nous sommes parlés. Il sortait de prison. Il ne m'a pas dit grand chose de son papillon, sauf que "ceux qui sortent de taule savent à quoi ça correspond". (Le papillon passe librement entre les barreaux ?

On peut m'empêcher de tout faire sauf de parler ? Un jour, de chrysalide inerte, je deviens papillon et je m'envole ?...). Il m'a montré d'autres signes sur ses poignets. Il était seul, mais au moins sa vie était là avec lui. Je me souviens combien il était touché que je tente de le déchiffrer un peu...

Aujourd'hui les murs des villes aussi demandent la parole. Tags, graphs sont tatoués sur le ciment. Notre société pénalise les "taggeurs" ou les invite dans les musées. Deux façons de ne pas les rencontrer.

Un lycée professionnel de la banlieue parisienne m'a invité plusieurs fois sur une année entière. Ses élèves (futurs métallurgistes) ont commencé par me montrer leurs projets (ô combien appliqués) de tags. Je leur ai dit :

- Si vous avez pour vous un mot qui veut tout dire, un mot clef, alors faites-en une sculpture en métal... un hyper-tag... en volume !

A suivi un an de travail. Les scies à disques et les lampes à souder ont fait des étincelles. Les têtes aussi. Les coeurs aussi, je crois.

Chacun a fait son "monument au mot". Un signe marquant. Tous les mots sculptés ont été ensuite exposés. D'autres lycées professionnels se sont lancés dans l'aventure. L'expérience maintenant continue d'elle-même.

Je me souviens :
- Des lettres du mot RISQUE qui s'avançaient en funambules sur un fil d'acier. Je sais que celui qui a fait cette sculpture a depuis pris le risque de réorienter sa vie. Il s'occupe maintenant d'enfants.

- Les lettres du mot PORTE s'articulaient et s'ouvraient en grinçant.
- ESPACE écrit d'un fil d'acier torsadé lançé dans le vide !
Ces mots situaient chacun face à lui-même, donc face à l'autre. Je sais que même les rapports entre élèves et professeurs se sont réinventés à partir de cette parole intime.

Des partages comme celui-là, j'en ai tentés sur plusieurs années avec des milliers d'enfants, d'adolescents et d'adultes. Chaque fois se libère une confidence fondamentale, un "acte de foi". Un tel acte de foi aide à fonder une vie, cela se vérifie. Cette fondation est un blason. Un mot peut nous blasonner.

Dans les temps médiévaux, nous l'appelions devise ou cri de guerre (une parole qui nous rassemble "à la mort à la vie"...).

Si la confidence est refoulée (et tout nous porte à la refouler) il y aura haine, démission, inertie, en tout cas refus de l'autre. Voyons-le clairement : ce monde débordant d'outils de communication, en a oublié un, celui qui nous lie réellement à nous-mêmes, donc à "l'autre". L'insignifiance ne peut pas se partager. Faisons-nous signe et partageons ! C'est-à-dire faisons de chacun de nous un signe et partageons.

Il y a en soi-même un nom secret à deviner, un nom à respecter. Si nous faisons cette découverte, nous découvrons du même coup ce qui en toute chose, en tout être, mérite respect.

Le monde devient plus vivable ! Plus exactement, nous savons mieux vivre au monde ! Un monde si neuf qu'il mérite que l'on s'en émerveille :

"Et la journée est entamée, le monde n'est pas si vieux que soudain il n'ait ri..." (Saint John-Perse).

Deviner son nom

Aujourd'hui où il est illégal de se déplacer sans carte d'identité, où nos portefeuilles sont gonflés de carte d'électeur, carte grise, permis de conduire, numéro d'assuré social, où nous sommes fichés, enregistrés, codés, il nous paraît étrange de devoir décliner une autre identité.

J'ai déjà eu, en entreprise, l'occasion de poser cette question :
"Nous souhaitons tous être des personnes qualifiées. Mais au-delà de vos diplômes, de vos états de service, qu'est-ce qui vous qualifie vraiment ? Quelle est votre qualité ?".

En manière de parenthèse, il est intéressant de constater qu'en latin qualis est à la fois le quel interrogatif et la qualité. Se mettre en question, être ardemment ce "quel ?", ne serait-ce pas notre plus haute qualité ?

Là est l'esprit aventureux. Notre monde moderne a un besoin pressant de tels aventuriers, de telles aventurières, un besoin de ferveur.

Dans les rencontres qui m'ont été proposées en milieux professionnels pour aider à la "communication interne", nous partons d'un univers cloisonné, grillagé, "grillé"... Le but alors n'est pas de repeindre les cloisons ou de suspendre des colifichets aux grillages pour égayer l'atmosphère, mais de déceler les qualités de chacun.

Là où je suis en question (en "queste" disait-on au Moyen Âge) là est ma qualité... La queste en ancien français est notre potentialité pure. Les armoiries donnent à voir cette potentialité. Elles découvrent notre nom intime...

"Et celui qui ne savait pas son nom le devine, et dit qu'il avait pour nom Perceval ! Il ne sait pas s'il dit vrai ou non. Mais il dit vrai, même s'il ne le sait pas", nous chante Chrétien de Troyes au XIIe siècle dans son conte du Graal.
Quel est notre nom ?
Quelle est notre face cachée ?

Aller à l'essentiel

Toutes les civilisations anciennes ont joué de façon infiniment variée sur les registres du signe, de la marque personnelle, du "faire impression".

Les scarifications (incisions sur la peau), les tatouages, les peintures de guerre, les masques de carnaval, les casques et les cimiers, les vêtements de parade, les déguisements enfantins, sont (parmi d'autres...) autant de signes de participation à un "corps" social. Tous ces signes remarquables ont des implications festives, magiques et mystiques.

Une encyclopédie ne pourrait jamais être complète qui voudrait témoigner de tous ces modes de communication, de relation, de... religion (ce qui relie).

Le seul mot de "scarification" explique l'enjeu. Il y a eu collusion dans le latin classique entre scarificare (inciser avec un stylet -- skariphos en grec) et sacrificare (sacrifier, c'est-à-dire faire un acte sacré). L'interpénétration de ces deux mots est révélatrice. Il est une famille de marques qui nous consacre, qui montre ce qu'il y a de sacré dans notre présence au monde.

La ronde de tous ces modes d'intense relation au monde créé n'en finirait pas de s'élargir -- chaque culture a apporté sa contribution splendide, irremplaçable.

Aujourd'hui, notre temps moderne apporte aussi sa contribution, par exemple : à force d'entrer dans la matière, nous entrons aussi dans son mystère.

Nos sciences physiques deviennent poésie pure !

Poésie d'ici et d'ailleurs

La poésie est toujours d'actualité. Le savant, le poète sont dilettantes (de delectare en latin). Ils savent se délecter du monde. Soyons dilettantes... avec vigueur ! Avec droiture ! Tous ceux qui savent voir, il s'agit là aussi d'une ascèse (je préfère dire, en fait, qu'il s'agit là d'un art : l'art de vivre).

Les grands moines eux-mêmes montrent ce qu'est une présence entière au monde et d'autant plus entière, qu'elle est stable et "dépassionnée". J'ai vu cela si précisément et pendant tant d'années auprès d'un précieux père, le métropolite Antoine, je citerai ici un ancien moine de sa tradition Hésichyus :

"Celui qui renonce aux `choses d'ici-bas'
veut faire le monde que l'on voit.
Celui qui renonce à la pensée `passionnée' de ces `choses'
fait moine au-dedans.
C'est lui le moine".
Un tel "moine" saurait entendre joyeusement,
je le sais, ce moment d'un chant Navajo dit
"chant nocturne des premiers danseurs"...
"Joie et beauté...
Les douces plantes de chaque espèce
viennent à toi jusqu'aux limites de la Terre.
Joie et beauté
Les doux biens de chaque espèce
viennent à toi jusqu'aux limites de la Terre.
Joie... que t'accompagne tout cela qui est devant toi.
Joie... que t'accompagne tout cela qui est derrière toi.
Joie... que t'accompagne tout cela qui est au-dessous.
Joie... que t'accompagne tout cela qui est au-dessus de toi.
Joie... que t'accompagne tout cela qui t'environne".

François d'Assise a lui aussi chanté et dansé ainsi.

Apprenons à redanser cette joie ! (Cela s'apprend-t-il ?) Les passagers de cette Terre sauront-ils un jour retrouver leur identité ? L'identité est être "le même" (idem en latin).

...Le même que tout cela qui m'environne... Le même que... cela.*

Il y a quelques années, à Niort un maître et ses élèves (ils avaient environ neuf ans) entreprennent l'adaptation théâtrale d'un de mes contes.

"Feudou, dragon secret". Une année de travail où des parents se sont aussi portés volontaires. L'aboutissement fut un spectacle incroyablement maîtrisé.

Vers la fin de la pièce, le dragon avait tout perdu : écailles, mufle, griffes, force... De ce dénuement complet un être fragile se relevait... un jeune humain. Je me souviens de Sébastien. Sur scène, dans la pénombre, il ne "jouait pas" cet événement, il naissait sous nos yeux. Dépouillé, absolument blanc. Nous suivions ses gestes, bouleversés.

Quatre ans plus tard, Sébastien est renversé par un voiture : trois mois de coma entre vie et mort. Un jour, il a articulé...

- Feudou...

De ce jour, ses soignants, ses parents lui ont réappris la parole et le mouvement en s'aidant du dragon et de son histoire. Pour Sébastien où était le mythe, où était la réalité ? Aujourd'hui, il a retrouvé toute sa vie. Son ancien maître lui rendait parfois visite. J'ai appris la nouvelle en repassant par cette ville. Jean, le "maître", avait les yeux brumeux en me confiant l'histoire de "l'enfant-dragon".

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