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Accueil > Revue Intemporelle > No7 - Bonnes nouvelles pour des temps difficiles

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Arnaud Desjardins (suite)

Avez-vous rêvé de devenir moine ?
À l'époque, j'étais déjà marié et père d'une petite fille de six mois. Il m'était donc très facile de rêver de vie monastique puisqu'il n'en était pas question !

Vous faisiez depuis plusieurs années partie des groupes Gurdjieff et vous vous intéressiez déjà à l'Orient ; de quel oeil les moines voyaient-ils cet intérêt ? Étiez-vous considéré comme un hérétique ?
Non, j'étais considéré comme un être "en recherche". Aujourd'hui, les hôteleries des monastères ne refusent pas d'accueillir des personnes qui, tout en s'avouant athées ou agnostiques, n'en sont pas moins en recherche. Les moines voyaient donc en moi un protestant en quête d'une autre dimension religieuse absente dans le protestantisme. Je n'avais d'ailleurs nul besoin de jouer la comédie ou de mentir pour manisfester un intérêt profond à l'égard des Évangiles et de la tradition chrétienne : l'héritage chrétien avait et a toujours eu pour moi une valeur essentielle que je n'ai jamais remise en cause.

Ceci dit, j'avoue être frappé par toutes les divergences du catholicisme français de l'heure. Je sais, par exemple, que dans certains monastères, le père hôtelier recommande à des retraitants la lecture de mes livres tandis que dans d'autres abbayes, on conjure les hôtes de ne pas lire mes ouvrages qui pourraient les "égarer"...

Des prêtres, qui ne sont d'ailleurs nullement des marginaux en révolte contre l'Église, lisent mes livres et paraissent en tirer profit; d'autres, par contre, tiennent mes ouvrages pour "sataniques" ou y voient une propagande pour l'hindouisme et le bouddhisme contribuant à déchristianiser la jeunesse...

Les avis sont donc pour le moins partagés ! D'une manière plus générale, certains religieux français, jésuites ou dominicains, se montrent très ouverts à l'égard de l'hindouisme et du zen ; d'autres, cependant, réagissent assez fermement contre ce qui n'est à leurs yeux qu'une mode.

Votre ami abbé et les moines que vous avez connus à l'époque vous considèrent-ils encore aujourd'hui comme un être de recherche, ou ont-ils le sentiment que vous êtes parvenu à certaines découvertes ?
Je crois que cette question ne se pose pas du tout ! Ils sentent essentiellement que des personnes autrefois mal dans leur peau se sont trouvées plus confiantes, rassérénées et même orientées dans la direction spirituelle après avoir été en contact avec moi. Sans entrer dans des détails relevant du secret professionnel, je peux même vous dire que des prêtres ont, à une époque ou une autre de leur vie, eu des entretiens avec moi et que j'ai pu les aider à se sentir de nouveau unifiés dans leur fonction sacerdotale.

Vous disiez tout à l'heure avoir lu des écrits ascétiques et mystiques ; à la lumière de votre expérience actuelle, considérez-vous que cette plénitude à laquelle vous êtes parvenu est du même ordre que celle dont ont parlé Saint Jean de la Croix ou Sainte Thérèse d'Avila ?
Il m'est impossible de répondre avec une véritable certitude. Précisons que j'entends par "certitude" une conviction à cent pour cent, car sinon il ne s'agit plus d'une certitude. À force de contacts vivants, d'homme à homme (ou d'homme à femme) avec des sages, des yogis, des ascètes soufis, bouddhistes zen, bouddhistes tibétains, hindous, chrétiens, j'ai pu parvenir à la certitude que des manières fort différentes de s'exprimer recouvraient une réalisation intérieure très proche.

Sur ce point, je suis convaincu, même si je dois être formellement contredit par des théologiens. L'amour, c'est l'amour, et il n'y a pas lieu de distinguer l'amour chrétien de l'amour bouddhiste ou de l'amour soufi... Un être vit-il ou non en état d'amour du prochain ? Voilà, à cet égard, la seule question. Ébloui par l'amour que me portait, à moi, un inconnu, tel ou tel sage, je ne me suis pas soucié d'établir des distinctions entre l'amour du soufi et celui du maître zen au Japon.

La paix intérieure, c'est la paix intérieure, la disparition de la peur, c'est la disparition de la peur, la sérénité, c'est la sérénité, et partout l'on retrouve cet effacement d'une certaine affirmation individuelle permettant à un autre niveau d'être ou de réalité de se révéler et de se manifester.

Beaucoup de chrétiens considèrent cependant que l'Église constitue le seul chemin vers Dieu. Ils se fondent sur certaines paroles du Christ, telles que "Je suis la voie, la vérité, la vie", "Nul ne vient au Père que par moi"...
Lesquelles se trouvent presque toutes dans l'Évangile de Saint Jean que je connais bien entendu depuis mon adolescence. Des années durant, j'ai moi-même été déchiré par cette constatation de l'existence de différentes religions paraissant se contredire. Sans parler de souffrances ordinaires de l'existence, j'ai longtemps ressenti ce problème de manière cruelle. Aujourd'hui, je poserais la question différemment : prenons le cas d'un chrétien qui, rencontrant des sages issus de différentes traditions, des soufis, des hindous, des Japonais ou des

Tibétains, acquiert la certitude que ces hommes ont atteint un degré de sainteté éblouissant, évident, rayonnant... D'autre part, force lui est de constater que malgré ses recherches, ses enquêtes, ses demandes, il ne rencontre pas au sein de notre christianisme actuel d'être de ce niveau, même si parmi ceux qu'il approche, certains chrétiens sont cependant réellement purifiés, transformés, sans égoïsme...

Face à un homme ou une femme dont le rayonnement est éblouissant, lui sera-t-il possible de se dire en s'appuyant sur ces paroles de Saint Jean : "voilà quelqu'un à qui la vérité échappe puisque nul ne vient au Père que par moi et qu'il ne confesse pas Jésus-Christ"?

Les paroles du Christ n'auraient-elles pas un sens plus intérieur et plus subtil qui, s'il se révélait, montrerait d'une part que le Christ disait vrai et d'autre part que la vérité se situe au-delà des mots, des formulations et même de la connaissance des Écritures grecques ? N'étant pas moi-même religieux, il ne m'appartient pas de parler au nom de l'Église ; vous savez cependant comme moi que certains chrétiens et théologiens d'aujourd'hui tiennent l'ancienne formule "hors de l'Église, point de salut" pour totalement dépassée.

Quelques exemples illustres me viennent à l'esprit : Thomas Merton, et surtout le Père Le Saux, Swami Abhishiktananda, qui a intensément ressenti dans son être le déchirement du chrétien face à la splendeur de la sagesse hindoue. Il a reconnu comme son maître spirituel un hindou, Swami Gnânânanda, que j'ai d'ailleurs approché.

Il ne m'a pas été possible de m'entretenir avec lui puisqu'il ne parlait pas du tout anglais, mais je lui ai quotidiennement rendu visite pendant une dizaine de jours et en ai gardé un souvenir émerveillé. J'ai lu la quasi-totalité des écrits publiés du Père Le Saux avec une admiration et une gratitude immenses, car après tant de recherches et de déchirements, ce témoignage d'un chrétien m'a été tout à fait précieux.

L'important, c'est que tout être humain comprenne que le christianisme n'a pas seulement une théologie et une morale à lui offrir, mais une vie nouvelle : la mort du vieil homme et la naissance de l'homme nouveau. Et cette expérience n'est pas reservée à Saint Jean de la Croix ou Sainte Thérèse d'Avila !

On parle sans cesse du christianisme, on prêche, on enseigne, on publie des livres sans jamais aborder le message essentiel : vous pouvez vous-même découvrir par expérience la présence de Dieu en vous, l'amour de Dieu en vous, et ce "qu'être sauvé" signifie ! Une citation de Nietzsche me vient à l'esprit : "Je croirai au Rédempteur quand je verrai les chrétiens un peu plus rédemptés".

Voilà une parole terrible... Cette rédemption ne doit pas être réléguée après la mort, il ne s'agit pas seulement de savoir si notre âme ira en enfer ou au paradis ; elle prend place dans cette vie-ci à travers une transformation intérieure qui est en fait le message essentiel du christianisme.

Après un détour par l'Inde, le bouddhisme, les monastères zen et les soufis, cette insistance sur la transformation en profondeur me frappe à chaque ligne des Évangiles. Ayant fait autrefois un peu de grec au lycée, je suis capable de lire les caractères grecs et de chercher dans un dictionnaire, ce que je fais lorsqu'un passage des Évangiles ne me paraît pas du tout convaincant. Or, je suis toujours saisi de constater que la traduction française ne donnait pas toute la puissance du texte grec.

À une époque de ma vie, je me suis passionné pour ces problèmes et j'ai eu la possibilité de consulter des théologiens qui étaient d'authentiques hellénistes. Je leur demandais : "Ne pourrait-on pas traduire de telle manière tel mot grec qui n'est pas traduit ainsi dans les différentes bibles ?" Ils me répondaient affirmativement, et le changement de mot donnait à la parole un sens bien plus profond.

Ainsi, par exemple, lorsque le Christ interroge Pierre, lui demandant à plusieurs reprises : "M'aimes-tu ?" et que ce dernier répond : "Seigneur, tu sais bien que je t'aime !", le grec a recours à deux verbes dont la signification est différente (`philein' et `âgapè'). Ce qui, en français, devrait donner quelque chose comme "M'aimes-tu, d'un amour libre et conscient ?" "Tu sais bien que je t'aime d'un amour limité et plein d'émotion"...

Donc, selon vous, pour qui veut s'en donner la peine, l'enseignement du Christ est applicable de nos jours ?
Je vais vous dire une chose que je ne mentionne pas souvent car elle ferait lever des réactions inutiles : je ne me considère ni hindou, ni bouddhiste, ni musulman, mais tout simplement chrétien. À ce propos, voici une anecdote très significative : on m'a récemment envoyé du Canada une énorme anthologie de textes spirituels de toutes les traditions réalisée par un ancien jésuite, Placide Gabory, et intitulée Un Torrent de silence, en me précisant que j'y étais cité.

Ce livre très intéressant d'ailleurs comporte des chapitres consacrés au Vedanta, à l'Islam, au judaïsme, au christianisme, etc. Sachant qu'y figuraient des extraits de mes livres, j'ai donc voulu voir ce qui avait été choisi et j'ai cherché à la rubrique "christianisme". Ne voyant rien d'Arnaud Desjardins dans ce chapitre, j'en ai d'abord conclu qu'on avait fait erreur et que je n'étais pas cité. En fait, des passages de mes ouvrages figuraient effectivement sous la rubrique "Vedanta" !

En le découvrant je me suis dit : "Bien sûr ! Aux yeux du public, Arnaud Desjardins écrit des livres sur l'hindouisme..." Mon maître spirituel, auquel je me réfère, était en effet hindou ; mais dans ce que j'oserais appeler une certaine naïveté, j'avais d'abord cherché au chapitre "christianisme" car dans mon for intérieur, je me sens plus chrétien qu'hindou. Pourquoi?

Parce que je suis occidental, que j'ai grandi dans le christianisme, et que pour échanger avec ceux qui m'entourent, il m'est plus facile de me référer au christianisme dont j'ai été nourri. Ceci dit, la Vérité est pour moi au-delà de toutes les formes dont on se sert pour l'exprimer et qui deviennent des limitations : si être chrétien signifie se sentir coupé de ceux qui ne le sont pas, je refuse une étiquette qui me limite au lieu de m'ouvrir à l'univers entier.

Aujourd'hui, un terme sacré comme le mot "gourou" est employé à tort et à travers, et a même plutôt mauvaise presse...
Oui... C'est comme ça.

Bien des individus se prétendent "gourou" et dispensent un "enseignement". Comment le chercheur sincère peut-il dinstinguer le maître de l'usurpateur ? Existe-t-il des critères ?
Cela se ressent. Vient un moment où tout être sincère devient tout à fait capable de faire la différence. Chez tous les gourous véritables, célèbres ou obscurs, on retrouve le même désintéressement, une humilité même au coeur des honneurs ou des témoignages d'admiration, une simplicité, une totale absence de prétention... Je sais bien que l'on peut se tromper au début ; on porte en soi une espérance, et comme les mécanismes de la projection et du transfert jouent encore plus en ce qui concerne l'éventuel gourou qu'envers le thérapeute ou le psychanalyste, on peut s'illusionner.

Certains considèrent des années durant tel ou tel maître spirituel mondialement célèbre comme leur gourou pour finalement constater que leur attitude intérieure face à leurs peurs, leurs désirs, leurs problèmes personnels n'a aucunement changé. Réfléchissez au fait qu'en allemand le mot "Führer", par lequel on désignait le chancelier Hitler, signifie "le guide". Un Français pourra d'ailleurs éprouver une impression quelque peu étrange en s'entendant dire dans un musée allemand que le "führer" sera là dans dix minutes...

Alors qu'il s'agit tout simplement du brave guide de service ! Et le mot "duce" en latin signifie également le "conducteur". On pourrait donc très bien traduire aujourd'hui "duce" ou "führer" par "gourou"... À l'heure actuelle, à partir du moment où quelqu'un galvanise des millions de gens et prétend les conduire à une vie plus heureuse, on lui attribue le titre de gourou.

Cela peut conduire à de grandes illusions, et il n'est effectivement pas toujours facile, même pour une personne de bonne foi, de ne pas s'égarer. Mais celui dont la recherche est vraiment sérieuse ne se trompera pas très longtemps. Certains "gourous" célèbres sont néfastes, d'autres sont inoffensifs, quelques-uns sont mêmes bénéfiques.

Par contre, votre question m'amène à dire que l'hostilité contre les sectes doit à mon avis être extrêmement prudente. Lorsque des milliers de jeunes ont trouvé une espérance, un sens à leur vie, et sont sauvés de la délinquance, de la drogue, de la violence, des perversions sexuelles, du désespoir, il est criminel d'attaquer ou de ridiculiser ce en quoi ils ont mis leur espérance s'il ne s'agit pas d'un phénomène véritablement dangereux.

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