Page precedente Sommaire/Indexe Page Suivante

Accueil > Revue Intemporelle > No6 - Entre l'envol et la chute...

L'association

L'association

No8

No7

No6

Dazibao

AD89

Cyberhumanisme

Forums

Archives

Contacts


Identité, conflits contemporains (nationaux, ethniques, économiques, internationaux...)
Éducation et urgence de la construction d'une Terre unie

Ettore Gelpi
Responsable de l'éducation permanente à l'Unesco, auteur de Conscience Terrienne, Mc Coll Publisher, Florence, 1992.


1. IDENTITÉ NATIONALE, RÉGIONALE, URBAINE, TERRIENNE

L'identité nationale est peut-être le résultat de deux processus contradictoires. Dans l'âge d'or de l'homme (mythique ou réel), il n'y avait pas de nations parce qu'il n'y avait peut-être pas de réelle continuité entre les premiers habitants de la Terre. Progressivement, des spécificités se sont manifestées qui, à travers les communications, les guerres, les rencontres, ont donné lieu à la construction des nations, non sans difficultés et déchirements. Villages et villes pacifiés ont constitué les premiers noyaux de nations.

L'histoire des derniers siècles a vu des compositions et des recompositions de ces nations ainsi que des groupements que l'on pourrait appeler, dans le langage d'aujourd'hui, subrégionaux. Ces groupements ont connu également des aventures alternées, expansion et disparition. La deuxième moitié du XXe siècle est particulièrement sensible à ces nouvelles configurations souvent nécessaires pour permettre d'avoir, sur un plan économique, politique, culturel, des économies d'échelle.

Ces groupements coexistent avec des identités nationales et peuvent favoriser - ou empêcher le passage à une future identité terrienne. Jusqu'à présent, l'Internationale, a favorisé les relations entre pays, mais il est évident qu'il n'a pas créé une "identité internationale".

Une autre forme d'identité se précisant avec beaucoup de contradictions, et parfois de tragédies, est l'identité urbaine. à la fin du XXe siècle, 50 % de la population habiteront la ville. Il est souvent difficile, dans les immenses périphéries des villes, de distinguer l'identité propre des pays qui accueillent des habitants dans leurs banlieues. Il y a le plus souvent, davantage d'identités communes entre les habitants de ces parties de villes privées d'histoire, qu'entre ces mêmes habitants et le reste de la population du pays.

Le droit d'être soi-même (langue, culture, poésie, luttes sociales, choix de sa propre joie et de son propre plaisir, etc.) est un aspect important de l'identité individuelle et collective. Il n'y a pas de logique pour faire violence à ce droit dont l'exercice ne peut qu'enrichir les autres.

Les identités personnelles, ethniques, nationales, permettent à l'homme d'avancer, mais leur dégénérescence peut le bloquer. L'identité nationale peut engendrer le nationalisme qui exalte la prétendue supériorité d'un peuple. L'identité ethnique peut faire surgir le concept de supériorité d'une race. De là sont issues l'élimination physique de l'individu, la destruction de populations, les guerres, les anciennes et les nouvelles barbaries.

Le processus d'identité terrienne ne peut pas être une aventure intellectuelle solitaire. Elle doit s'ancrer dans le vif des forces sociales qui existent dans différents pays et qui s'expriment dans la vie politique, culturelle et syndicale. Des acteurs privilégiés créatifs - souvent dans des conditions difficiles - sont et seront les émigrés et les réfugiés, dont le nombre ne cesse de croître.

Le respect de toutes les identités est le fondement d'une identité terrienne qui n'est pas basée sur la disparition des spécificités mais, au contraire, basée sur leurs interactions et le développement de chaque culture, de chaque langue et de chaque désir.

L'identité terrienne se développera à travers les relations internationales et les intégrations de l'ensemble des populations qui sont actrices, et non pas dans certains cas receveuses de modèles unifiés de consommation, et dans d'autres d'espoir de consommation.

L'identité terrienne se construira lorsque l'ensemble des populations pourra produire et consommer. Il serait très risqué de renforcer une division qui, malheureusement, se précise entre une partie de la planèt, qui a les moyens de produire et de consommer, et une autre partie qui est privée de ces moyens.

2. IDENTITÉ NATIONALE À L'EST ET À L'OUEST, AU NORD ET AU SUD

L'identité nationale a permis aux populations du Sud de se reconnaître dans leur lutte historique et contemporaine contre le colonialisme. Il est aujourd'hui nécessaire, par cette même lutte de passer à des unités plus vastes: subrégionales, régionales et demain terrienne. Il est aussi évident que les pouvoirs coloniaux et néo-coloniaux peuvent utiliser l'identité nationale des minorités, ou l'identité nationale qui s'oppose à des entités plus vastes, comme étant de l'intérêt des populations. La lutte non-violente pour la paix permet de mettre en évidence les limites de l'identité nationale qui peut devenir un instrument de violence et de primauté.

Le dépassement de la contradiction entre l'Est et l'Ouest politiques semble faire oublier l'importance et la nécessité de reconnaître comme principaux interlocuteurs ceux qui représentent le monde du travail. Les mutations technologiques et organisationnelles d'une partie des travailleurs ne signifient pas que les acteurs de la vie productive et culturelle ont une importance mineure. Si, par exemple, il y a un taux mineur de syndicalisation dans les pays du Nord-Ouest, il y a, par contre, une conscience syndicale plus aiguë dans les pays du Sud et, dans une certaine mesure, dans l'ancien Est politique.

De nouvelles relations entre le Nord et le Sud, et entre ce qu'on appelait l'Est et l'Ouest, vont devenir productives lorsque la rencontre entre nations aura dépassé un stade purement défensif. La rencontre culturelle peut jouer un rôle important pour permettre d'apprécier la richesse de l'ensemble des 5 milliards 400 millions de Terriens, souvent présentés à travers des stéréotypes. La meilleure stratégie consiste à empêcher la division de la planète entre producteurs et consommateurs, entre guides éclairés et populations soumises, entre personnes affectées de problèmes circulatoires dûs à une hyperalimentation et les personnes affectées par la tuberculose et le rachitisme à cause de la dénutrition.

Certains pouvoirs pensent qu'il est possible de développer - et parfois de vendre - la démocratie sans les interlocuteurs. Le Sud et l'ex-Est politique la voudraient bien, mais les populations de ces pays ne veulent pas, en général, avoir à payer cette démocratie au prix de nouvelles formes de dépendance.

3. PENSÉE COMPLEXE

La construction d'une identité terrienne est un objectif qui requiert une pensée complexe et ouverte. Il ne s'agit pas de faire fi du passé, des guerres et des violences, mais au contraire, sur la base de connaissances approfondies des héritages coloniaux, de l'histoire des luttes de classes, et des agressivités réciproques entre pays, il est possible de voir et d'anticiper certaines politiques qui vont dépasser l'histoire et non l'ignorer.

La pensée complexe est nécessaire parce qu'il faudra vivre dans le cadre de contradictions multiples en les assumant et en les dépassant. Un peuple est composé d'envahisseurs et de populations qui ont refusé la violence d'autrui. La pensée complexe nous permet de déchiffrer, dans toutes ces contradictions, le développement économique, scientifique et technique; elle nous aide aussi à comprendre la contradiction de l'être humain qui peut être, en même temps, créateur et destructeur dans ses fonctions de producteur et de consommateur.

L'éducation à la pensée complexe n'est pas toujours favorisée par le pouvoir, car elle peut devenir l'instrument critique dont les populations pourraient se servir.

Les guerres permanentes - auxquelles nous assistons notamment en cette époque considérée comme une période de paix - sont également le résultat d'un manque de pensée complexe de la part des populations qui acceptent ces guerres déclenchées par leurs leaders au nom des "valeurs".

La société contemporaine est en face de phénomènes qui s'appellent: catastrophes naturelles ou provoquées involontairement par l'homme, chômage structurel, nouvelles épidémies, multiplication des conditions de marginalité, destruction des ressources naturelles et humaines, et en même temps, avancement extraordinaire de la capacité de l'être humain dans le domaine de la communication sous toutes ses formes et de la manipulation positive et négative de la nature. Encore une fois, la pensée complexe peut contribuer à éviter de tomber dans le désespoir ou dans l'optimisme béat fondé sur une confiance démesurée en la science et surtout en la technologie.

4. ÉDUCATION ET CONSTRUCTION DE LA PAIX

L'histoire de l'éducation est une histoire de luttes et de conflits qui semble échapper aux théoriciens et aux politiques de l'éducation d'aujourd'hui, absorbés seulement par la dimension économique et professionnelle de l'éducation.

L'éducation est un instrument d'émancipation des populations marginales, des minorités écartées et des majorités de travailleurs auxquelles l'accès au pouvoir était interdit ou limité. Il y a aussi eu l'utilisation de l'éducation pour uniformiser et "normaliser" les populations au nom d'une patrie, d'une religion, d'une ethnie. L'ambiguïté de l'éducation est permanente, mais avec ses spécificités historiques, l'éducation a contribué en même temps au nationalisme belliqueux et à l'internationalisme pacifique.

Adultes, éducateurs d'adultes, jeunes, enseignants, éducateurs d'éducateurs, théoriciens de l'éducation, nous sommes tous soumis à des pressions idéologiques de la part des structures du pouvoir qui influencent théories, politiques et activités éducatives. Si nous lisons la littérature pédagogique des décennies précédentes, si nous analysons les politiques éducatives, nous nous apercevons que l'éducation a subi la logique des divisions politiques Est-Ouest, et des divisions politiques et économiques Nord-Sud, et non pas une logique cohérente avec les besoins éducatifs des populations. à l'Est, on a célébré une idéologie éducative qui s'est évanouie à cause de la crise de cette partie du monde. à l'Ouest, on a célébré des théories éducatives qui s'évanouissent à cause de crises sociales, du chômage et des transformations rapides des structures productives.

Dans toutes ces différentes expressions institutionnelles, comment rendre les éducateurs capables de résister à l'idéologie dominante, à l'imposition du pouvoir; comment les inciter à écouter les populations et à leur permettre de parler comme des acteurs principaux?

Les éducateurs sont aux premières lignes dans ces transitions ambiguës. L'éducateur doit savoir faire la distinction entre se battre pour une langue et une culture qui signifient amour et respect, et devenir un instrument contribuant à déclencher la violence d'un groupe contre un autre, d'une nation contre une autre; l'histoire et l'actualité sont riches de ces passages ambigus que les acteurs principaux connaissent.

Les éducateurs, dans le sens le plus large, sont conscients du fait qu'ils ne peuvent contribuer à la célébration du nationalisme centré sur la violence, l'exclusion de l'autre et le manque d'esprit critique. Encore une fois, l'indépendance de ceux qui travaillent dans le domaine éducatif est importante. Cette indépendance a son origine dans la participation des populations à la définition et à la mise en oeuvre des politiques éducatives et culturelles.

Pourquoi ne parle-t-on plus aujourd'hui dans les pays du Nord, de cette culture populaire, de syndicats, de classe ouvrière? Cette culture et ces acteurs continuent pourtant d'exister dans le Nord et dans le Sud, mais le monde éducatif semble être lui aussi plus attiré par les valeurs véhiculées - avec ou sans violence - par les structures du pouvoir.

Le rôle de l'éducation se précise dans les mouvements, les institutions et les pays face au problème de la guerre, de la violence et de la construction quotidienne de la paix. C'est à ce moment précis que le projet éducatif dévoile ses objectifs et sort de l'ambiguïté. Les éducateurs qui participent à des projets de violence, ou qui les tolèrent, deviennent complices d'une régression de l'homme et pourront difficilement contribuer à des projets d'élargissement de la communication humaine.

La construction de la paix n'est pas une action forcément négative (paix = absence de guerre), elle signifie plutôt une re-formation de la production, de la consommation, pour éviter ainsi une violence indirecte, mais néanmoins permanente, de l'homme sur l'homme. L'éducation, surtout lorsqu'elle est associée à la culture, peut jouer un rôle essentiel pour faire prendre conscience de l'importance des changements substantiels concernant production et consommation, dont l'objectif semble être uniquement le profit immédiat.

La construction de la paix est aussi une lutte contre le racisme dans toutes ses manifestations, pour l'acceptation de l'autre, migrant ou minorité autochtone, pour l'introduction de nouveaux indicateurs qui permettent d'évaluer l'homme non seulement en relation au PNB (Produit National Brut), mais aussi à sa capacité de production culturelle et de jouissance.

5. LUTTES NON-VIOLENTES

Les luttes non-violentes pour la Terre sont aujourd'hui menées surtout pour empêcher la destruction des ressources humaines et naturelles. On a l'impression que la protection archéologique est plus importante que celle de l'homme et de la nature. Ces luttes passent par les différents types d'identité, la modernité, la rationalité, la démocratie, qui s'opposent au nationalisme exclusif, à la modernisation, à l'avantage des uns et au détriment des autres, à la rationalisation dont souvent, la logique est la seule rentabilité, à la démocratisation, dont on voit souvent les amis des anciens dictateurs prêcher souvent les bienfaits et les valeurs.

Ces luttes passent par une vie associative renouvelée, par une décentralisation du pouvoir, par une participation des populations aux décisions qui les concernent, par une soumission de la technologie aux intérêts de la personne humaine et de la nature. Ces luttes vont peut-être contribuer à renforcer l'identité de l'homme et de la femme. La participation joue un rôle important, ainsi que la vie culturelle, dans la période de transition, de reconversion, de remise en cause, que l'homme et la femme sont en train de vivre.

La lutte non-violente, dans la meilleure tradition de I. Ferrer y Guardia, de M. Gandhi, de M.L. King, de S. Allende, est aujourd'hui une nécessité parce que les conflits, les violences, les destructions ne peuvent pas être résolus seulement par la réflexion et l'observation toujours indispensables, certes, mais insuffisantes à elles seules, ni par de pieuses déclarations.

Faire: il s'agit d'en préciser le temps et les modalités, mais les contenus sont clairs.


 - Page Precédente  - Sommaire  - Page Suivante
 ?
Les Humains Associés  - L'association  - Les revues  : No 8No 7No 6  - Et si on parlait d'amour...
 - Déclaration des droits de l'être humain  - Liste de diffusion  - Forums thématiques  - Archives  - Equipe Web
Copyleft 1995-2001 Les Humains Associés - Contact : <humains@humains-associes.org>
Page modifiée le: 10/5/2001