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Les habitants de l’île par Idries Shah

Les habitants de l’île, Sayed Idries Shah

« L’homme ordinaire se repent de ses péchés :
Les élus se repentent de leur négligence. »

Dhu’l-Nun MISRI
Les Habitants de l’Île, (« The Islanders ») reproduit avec l’autorisation de The Sufis, Idries Shah
(Octagon Press Ltd., London).

La plupart des fables renferment au moins une part de vérité et souvent elles permettent aux gens d’absorber des idées que leurs formes ordinaires de penser les empêcheraient de digérer. Les fables ont donc été utilisées également par les maîtres soufis pour présenter une image de la vie plus en harmonie avec leurs sentiments (ce qui aurait été moins réalisable à l’aide d’exercices intellectuels).

Voici une fable soufi sur la situation humaine, résumée et convenablement adaptée, comme cela doit toujours être, au moment où elle est contée. Les fables ordinaires, faites pour se distraire, sont considérées par les auteurs soufis comme une forme d’art dégénérée ou inférieure.

Il y avait une fois une communauté idéale qui vivait dans une terre lointaine. Ses membres ne connaissaient pas toutes ces peurs dont nous sommes affligés maintenant. Au lieu d’incertitude et de fluctuations, ils avaient un but défini et des moyens plus complets de s’exprimer. Bien que leurs vies ignorassent toutes les pressions et les tensions que l’humanité considère maintenant essentielles à son progrès, elles étaient plus riches parce qu’à la place il y avait d’autres éléments, et meilleurs. Leur mode d’existence était donc légèrement différent. Nous pourrions presque dire que nos perceptions actuelles ne sont que la grossière contrefaçon des perceptions réelles que possédait cette communauté.
Ils avaient des vies réelles et non des demi-vies.

Nous pouvons les appeler le peuple El Ar.

Ils avaient un chef qui découvrit que leur pays allait devenir inhabitable pendant, disons, une période de vingt mille ans. Il organisa leur évasion, réalisant bien que leurs descendants ne pourraient retourner chez eux avec succès qu’après maintes épreuves.

Il trouva pour eux un lieu de refuge, une île dont les caractéristiques n’étaient que grossièrement semblables à celles de leur patrie d’origine. Du fait de la différence de climat et de situation, les immigrants durent subir une transformation. Elle les rendit physiquement et mentalement plus adaptés aux circonstances nouvelles; des perceptions grossières, par exemple, remplacèrent des perceptions plus fines. Ainsi, la main du travailleur manuel devient-elle plus dure, ce qui répond aux besoins de son métier.

Pour réduire la douleur qu’aurait amené une comparaison entre les états anciens et les nouveaux, on leur fit presque entièrement oublier le passé. Seul en resta un obscur souvenir, suffisant pourtant pour qu’il soit réveillé quand le temps serait venu.

Le système était très compliqué mais bien mis en place. Les organes au moyen desquels le peuple pouvait survivre sur l’île étaient aussi ceux du plaisir physique et mental. Les organes réellement formés dans l’ancienne terre d’origine furent soumis à une forme spéciale de mise en sommeil et reliés à cette obscure mémoire, pour permettre son activation éventuelle.

Lentement et péniblement, les immigrants s’installèrent, s’ajustant aux conditions locales. Les ressources de l’île étaient telles que, conjuguées à l’effort guidé d’une certaine manière, les gens pouvaient s’échapper sur une autre île située sur le chemin de retour à la terre d’origine. Cette île était la première de toute une chaîne sur laquelle une acclimatation graduelle eut lieu.

La responsabilité de cette  » évolution  » était confiée à des individus qui pouvaient la porter. Ils étaient nécessairement un petit nombre parce que, pour la masse des gens, l’effort de garder dans leur conscience deux formes de connaissance était virtuellement impossible. L’une semblait toujours en conflit avec l’autre. Certains spécialistes étaient dépositaires de la « science spéciale ».

Ce « secret », la méthode pour effectuer le passage, n’était rien de plus ni de moins que la connaissance des arts maritimes et de leur application. L’évasion nécessitait un instructeur, les matières premières, des gens, l’effort et la compréhension. Cela leur étant donné, les gens pouvaient apprendre à nager et aussi à construire des navires.

Ceux qui, à l’origine, avaient la charge des opérations de l’évasion firent clairement entendre à chacun qu’une certaine préparation était nécessaire avant que quiconque pût apprendre à nager ou même prendre part à la construction d’un navire. Pendant un certain temps, l’opération se déroula de manière satisfaisante.

C’est alors qu’un homme, dont on avait jugé qu’il lui manquait, pour le moment, les qualités requises, se rebella contre cette mesure et trouva le moyen de développer une idée magistrale. Il avait observé que l’effort nécessaire pour s’évader imposait aux gens un fardeau lourd et souvent importun, semblait-il. En même temps, ils étaient disposés à croire ce qui leur était dit sur le travail d’évasion. Il réalisa qu’il pouvait acquérir un certain pouvoir et aussi se venger de ceux qui l’avaient sous-estimé, ainsi qu’il le pensait, en exploitant simplement ces deux constatations.

Il proposa seulement d’enlever le fardeau, affirmant qu’il n’y avait pas de fardeau.

Il fit cette proclamation :

« Il n’est nul besoin pour l’homme d’intégrer son esprit et de l’exercer de la manière qui vous a été décrite. L’esprit humain est déjà une chose consistante, stable et continue. On vous a dit que vous deviez devenir un artisan dans le but de construire un navire. Moi je dis que non seulement vous n’avez pas besoin d’être un artisan — mais que vous n’avez pas du tout besoin de navire ! Un habitant de l’île a seulement besoin d’observer quelques règles très simples pour survivre et demeurer intégré à la société. En exerçant le sens commun, inné en chacun, il peut atteindre à quoi que ce soit sur cette île, notre demeure, la propriété et l’héritage communs de tous. »

Le bavard, ayant suscité un grand intérêt parmi le peuple, apporta maintenant des preuves à ses dires et continua :

« S’il y a une quelconque réalité dans les navires et la natation, montrez-nous des navires qui aient fait le voyage et des nageurs qui soient revenus ! »

Ceci était un défi aux instructeurs qu’ils ne pouvaient pas relever. Il était basé sur une supposition dont le troupeau assoupi ne pouvait pas alors voir le caractère fallacieux. Vous voyez, les navires ne sont jamais revenus de l’autre terre. Les nageurs, quand ils revenaient, avaient subi une adaptation nouvelle qui les rendait invisibles à la foule.
La foule insista pour qu’on lui donne des preuves.

« La construction de navires », dirent les évadés, en tentant de raisonner la révolte, « est un art et un métier. L’étude et la pratique de cette science reposent sur des techniques spéciales. Prises ensemble, elles forment une activité totale qui ne peut pas être examinée par fragments, comme vous le demandez. Cette activité comporte un élément impondérable, appelé baraka, de là le mot « barque » — navire. Ce mot signifie « la Subtilité » et elle ne peut pas vous être montrée ».
« Art, métier, totalité, baraka, sottises », s’écrièrent les révolutionnaires.
Et ils pendirent autant d’artisans dans l’art des navires qu’ils purent en trouver.

Le nouvel évangile fut accueilli partout comme une libération. L’homme avait découvert qu’il était déjà arrivé à maturité ! Il se sentait, pour un temps du moins, comme débarrassé de responsabilité.

La plupart des autres manières de penser furent bientôt englouties par la simplicité tranquillisante du concept révolutionnaire. Bientôt, il fut considéré comme le fait de base qui n’avait jamais été contesté par aucun esprit rationnel. Rationnel, naturellement, s’appliquait à quiconque agréait la théorie générale sur laquelle la société était désormais basée.

Les idées en opposition aux nouvelles idées étaient facilement traitées d’irrationnelles. Tout ce qui était irrationnel était mauvais. Dorénavant, même s’il éprouvait des doutes, l’individu devait les supprimer ou les écarter car il devait passer à tout prix pour un être rationnel.

Ce n’était pas très difficile d’être rationnel. On devait seulement adhérer aux valeurs de la société. De plus, les preuves de la vérité de la raison abondaient — pourvu que la pensée n’aille pas au-delà de la vie de l’île.

La société avait maintenant trouvé temporairement son équilibre dans les limites de l’île ; elle paraissait fournir l’image d’une complétude plausible, si on la voyait à travers ses propres critères. Elle était basée sur la raison plus l’émotion, les faisant paraître toutes deux plausibles. Le cannibalisme, par exemple, était permis sur des bases rationnelles. On trouvait que le corps humain était comestible. La comestibilité était une caractéristique de la nourriture. Donc le corps humain était une nourriture. En vue de compenser les insuffisances de ce raisonnement, on trouva un expédient. Le cannibalisme fut contrôlé dans l’intérêt même de la société. Le compromis étant le signe d’un équilibre temporaire, de temps en temps quelqu’un indiquait un nouveau compromis et la lutte entre la raison, l’ambition et la communauté produisait quelque nouvelle norme sociale.

Puisque l’art de construire les navires n’avait pas d’application évidente dans la société, l’effort pouvait facilement être qualifié d’absurde. Il n’y avait pas besoin de navires — il n’y avait nulle part où aller. Les conséquences de certaines suppositions peuvent servir à « prouver  » ces suppositions elles-mêmes. C’est ce qui est appelé pseudo-certitude, substitut de la certitude réelle. C’est sur elle que nous reposons chaque jour quand nous supposons devoir vivre encore toute une journée. Mais les habitants de notre île l’appliquaient à tout.

Deux articles dans la grande Encyclopédie universelle de l’île nous montrent comment opérait le processus. Distillant leur sagesse en partant de la seule nourriture mentale qui leur était accessible, les sages de l’île produisaient, en toute honnêteté, ce genre de vérité :

Navire : Déplaisant. Un véhicule imaginaire dans lequel les imposteurs et les fourbes ont proclamé qu’il était possible de « traverser l’eau », ce qui est une absurdité scientifiquement établie aujourd’hui. On ne connaissait dans l’île aucun matériau imperméable a l’eau avec lequel un tel « navire » eût pu être construit en laissant de côté la question de savoir s’il y a une destination au-delà de l’île. Prêcher la « construction des navires » est un crime majeur tombant sous la loi n0 17 du code pénal, subdivision J, concernant « la protection des crédules ». La folie de construire des navires est une forme extrême d’évasionisme mental, un symptôme d’inadaptation. Tous les citoyens sont soumis à l’obligation constitutionnelle d’avertir les autorités sanitaires s’ils soupçonnent chez quiconque la présence de cette tragique condition.
Voir : Natation ; Aberrations mentales; Crime (majeur).
Lectures : Smith J., Pourquoi on ne peut pas construire de navires, Monographie de l’université de l’Île, n0 1151.

Natation : Désagréable. Une prétendue méthode pour propulser le corps à travers l’eau sans se noyer, en général dans le dessein d’ « atteindre un lieu en dehors de l’Île ». L’ « étudiant » en cet art désagréable devait se soumettre à un rituel grotesque. Pour la première leçon, il devait se coucher sur le sol et remuer les bras et les jambes en obéissant aux ordres d’un « instructeur ». Le concept entier est basé sur le désir de prétendus instructeurs d’exercer une domination sur les crédules des époques barbares. Plus récemment, ce culte a pris la forme d’une folie épidémique.
Voir : Navire, Hérésies, Pseudo-Arts.
Lectures : Brown W., La Grande Folie « natatoire », 7 volumes, Institut de la lucidité sociale.

Les mots « déplaisant » et « désagréable » étaient utilisés dans l’île pour indiquer tout ce qui contredisait le nouvel évangile, connu sous le nom de « Please ». L’idée cachée était que les gens, maintenant, se satisfaisaient eux-mêmes dans le cadre de la nécessité générale qui était de satisfaire l’État. L’État était pris dans le sens de « tous les gens ».

Il est à peine surprenant que très tôt la seule pensée de quitter l’île emplit la plupart des gens de terreur. Semblablement, on a observé une terreur très réelle chez des prisonniers à long terme sur le point d’être relâchés. À l’extérieur du lieu de captivité, il y a un monde vague, inconnu, menaçant.

L’île n’était pas une prison. C’était une cage avec des barreaux invisibles plus efficaces que de vrais barreaux ne pourraient l’être.

La société insulaire devenait de plus en plus complexe. Nous ne pouvons examiner que quelques-uns de ses traits principaux. Sa littérature était riche. En plus des oeuvres culturelles, il y avait de nombreux livres qui expliquaient les valeurs et les accomplissements de la nation. Il y avait aussi un système de fiction allégorique qui démontrait à quel point la vie eût été terrible si la société ne s’était pas organisée selon l’actuel et rassurant schéma.

De temps en temps, des instructeurs essayaient d’aider toute la communauté à s’échapper. Des capitaines se sacrifiaient pour qu’un climat soit rétabli qui permettrait aux constructeurs de navires actuellement cachés de continuer leur travail. Tous les efforts étaient interprétés par les historiens et les sociologues en référence aux conditions existant sur l’île, sans qu’ils pensent à un contact quelconque en dehors de cette société fermée. Des explications plausibles de presque tout étaient relativement faciles à fournir. Aucun principe d’éthique n’était impliqué parce que les savants continuaient à étudier avec une consécration authentique qui paraissait vraie. « Que pouvons-nous faire de plus ? », demandaient-ils, impliquant par ce mot « plus » que l’alternative pouvait résider dans un effort quantitatif. Ou bien ils se demandaient l’un à l’autre : « Que pouvons-nous faire d’autre ? » supposant que la réponse pourrait être dans « autre » — c’est-à-dire quelque chose de différent. Leur problème réel était qu’ils supposaient être capables de formuler les questions et qu’ils ignoraient le fait que les questions étaient tout aussi importantes que les réponses.

Naturellement, les habitants de l’île avaient toute licence de pensée et d’action à l’intérieur de leur propre petit domaine. La diversité des idées et les différences d’opinion donnaient l’impression de la liberté de pensée. La pensée était encouragée, à condition qu’elle ne soit pas « absurde ».

La liberté de parole était permise. Elle était de peu d’usage en l’absence du développement de la compréhension qui n’était pas poursuivi.

Le travail et l’insistance des navigateurs devaient prendre différents aspects en accord avec les changements survenant dans la communauté. Ce fait rendait leur réalité encore plus déconcertante pour les étudiants qui essayaient de les suivre du point de vue de l’île.

Au milieu de toute cette confusion, même la capacité de se rappeler l’évasion possible pouvait parfois devenir un obstacle. La conscience réveillée de la potentialité de l’évasion n’était pas très discriminative. Le plus souvent, les prétendus évadés, bien qu’empressés, s’en tenaient à n’importe quelle sorte de substitution. Un vague concept de navigation ne peut être d’aucune utilité sans orientation. Même les plus ardents parmi les constructeurs de navires avaient été entraînés à croire qu’ils avaient déjà cette orientation. Ils étaient déjà mûrs. Ils haïssaient quiconque remarquait qu’ils pouvaient avoir besoin d’une préparation.

Des versions bizarres sur la natation ou la construction de navires excluaient souvent les possibilités d’un progrès réel. Les plus blâmables étaient les partisans de la pseudo-natation ou des vaisseaux allégoriques, simples fripons, qui offraient des leçons à ceux encore trop faibles pour nager, ou des passages à bord de navires qui n’avaient pas encore été construits.

Les besoins de la société avaient à l’origine rendu nécessaires certaines formes d’efficacité et de pensée qui se développèrent dans ce qui est connu comme science. Cette approche admirable, si essentielle dans le champ où elle trouvait son application, déborda finalement sa signification réelle.

L’approche appelée « scientifique », tôt après la révolution du « Please », se répandit jusqu’à recouvrir toute espèce d’idées. Finalement, les choses qui ne pouvaient être amenées à l’intérieur de ses limites furent nommées « non scientifiques », un autre synonyme commode pour « mauvais ». Les mots, sans qu’on le sache, étaient emprisonnés puis automatiquement asservis.

En l’absence d’une attitude convenable, ainsi que font les gens qui, laissés à leurs propres ressources dans une salle d’attente lisent fiévreusement des magazines, les habitants de l’île s’absorbèrent à trouver des substitutions à l’accomplissement qui était le but originel (et en vérité final) de l’exil de cette communauté.

Quelques-uns purent détourner leur attention avec plus ou moins de succès dans des entreprises principalement émotionnelles. Il y avait différents ordres d’émotion mais aucune échelle adéquate pour les mesurer. Toute émotion était regardée comme « intérieure » ou « profonde » — en tout cas plus profonde que la non-émotion. L’émotion qui, on le voyait, poussait ces gens aux actes physiques et mentaux les plus extrêmes que l’on connaisse, était automatiquement qualifiée de « profonde ».

La majorité des gens se fixaient des objectifs ou laissaient les autres les fixer pour eux. Ils pouvaient se vouer à un culte après l’autre, ou à l’argent, ou à l’importance sociale. Certains adoraient certaines choses et se sentaient supérieurs aux autres. D’autres, rejetant l’adoration telle qu’ils la concevaient, se croyaient sans idoles et se permettaient donc en toute sûreté de railler tout le monde.

Les siècles passèrent, l’île était envahie par les débris de ces cultes, pire que les débris ordinaires; elle se perpétuait elle-même. Des gens bien intentionnés et d’autres arrangeaient ces cultes et les réarrangeaient, et ils se propageaient à nouveau. Pour l’amateur et l’intellectuel, ceci constituait une mine de matériel académique ou « initiatique » donnant un sentiment réconfortant de variété.

De magnifiques facilités permettant de s’adonner à toutes les « satisfactions » limitées proliférèrent. L’île regorgeait de palais et de monuments, de musées et d’universités, de sociétés d’études, de théâtres et de stades. Naturellement, les gens s’enorgueillissaient de ces avantages liés pour la plupart — pensaient-ils — d’une manière générale à la vérité ultime. Comment exactement, ceci échappait à presque tous.

La construction des navires était en liaison avec certaines dimensions de cette activité, mais d’une façon inconnue de la plupart.

Clandestinement, les navires levaient leurs voiles, les nageurs continuaient à enseigner la natation…

Les conditions existant sur l’île n’effrayaient pas trop les gens qui s’étaient voués à cela. Après tout, eux aussi étaient originaires de cette même communauté et gardaient avec elle et sa destinée, des liens indissolubles.

Mais souvent ils avaient à se préserver eux-mêmes des attentions de leurs concitoyens. Quelques habitants « normaux » de l’île essayaient de les sauver d’eux-mêmes. D’autres tentaient de les tuer, pour des raisons également sublimes. D’autres même cherchaient ardemment leur aide mais ne pouvaient les trouver.

Toutes ces réactions à l’existence des nageurs étaient le résultat d’une même raison, filtrée à travers différentes sortes d’esprits. Cette raison était qu’à peu près personne ne savait alors ce qu’était au juste un nageur, ce qu’il faisait et où on pouvait le trouver.

Tandis que la vie sur l’île devenait de plus en plus civilisée, une étrange mais logique industrie se développait. Elle se consacrait à imputer des doutes sur la validité du système sur lequel la société reposait. Elle réussit à éliminer les doutes sur les valeurs sociales en s’en moquant ou en en faisant la satire. L’activité pouvait prendre un visage triste ou heureux mais elle devint en réalité un rituel répétitif. C’était potentiellement une industrie valable, mais on l’empêchait d’exercer une fonction réellement créatrice.

Les gens sentaient qu’en permettant à leurs doutes de s’exprimer temporairement, ils pouvaient en quelque sorte les apaiser, les exorciser, les rendre presque propices. La satire passait pour une allégorie pleine de sens; l’allégorie était acceptée mais non digérée. Les pièces de théâtre, les livres, les films, les poèmes, les pasquinades étaient le véhicule habituel de ce développement, bien qu’une grande part empruntait des voies plus académiques. Pour beaucoup d’habitants de l’île, cela faisait plus émancipé, plus moderne ou progressiste de suivre ce culte de préférence aux plus anciens.

Ici et là, un candidat se présentait encore devant un maître-nageur pour conclure un marché.
Habituellement, il s’ensuivait une conversation stéréotypée de ce genre :

– Je veux apprendre à nager.
– Vous voulez faire un marché ?
– Non. Je veux seulement emporter ma tonne de choux.
– Quels choux ?
– La nourriture dont j’aurai besoin sur l’autre île.
– Là, il y a une nourriture meilleure.
– Je ne sais pas ce que vous voulez dire. Je ne peux pas en être sûr. Je dois prendre mes choux.
– D’abord, vous ne pouvez pas nager avec une tonne de choux.

– Alors, je ne peux pas y aller. Vous appelez ça un fardeau, moi, j’appelle ça ma nourriture essentielle.
– Supposez, allégoriquement, que nous ne disions pas « choux », mais « suppositions » ou « idées destructrices » ?
– Je vais porter mes choux à un instructeur qui comprendra mes besoins.

Ce livre parle de quelques-uns des nageurs et des constructeurs de navires et aussi de certains de ceux qui essayèrent de les suivre avec plus ou moins de succès. La fable n’est pas finie parce qu’il y a encore des gens dans l’île.
Les Soufis utilisent des chiffres variés pour communiquer ce qu’ils ont à dire. Recombinez le nom de la communauté originelle — El Ar — et, épelez « Real » (1). Peut-être aviez-vous déjà remarqué que le nom adopté par les révolutionnaires — « Please » — peut se combiner pour former le mot « Asleep » (2).

(1) Réel; (2) Endormi

The Sufis, Idries Shah
W.H. Allen (c) 1964 Idries Shah
Les Soufis et l’ésotérisme, Éditions Payot, Paris 6e, septembre 1972, (épuisé).

RéFéRENCES
BIBLIOGRAPHIQUES
DE IDRIES SHAH

ÉDITIONS PAYOT, PARIS.

Les Soufis et l’Ésotérisme, 1972 (épuisé).

La Magie Orientale, 1980.

ÉDITIONS LE COURRIER DU LIVRE, PARIS.

L’Éléphant dans le noir, 1978.

Caravane de Rêve, 1978.

Contes Derviches, 1979.

Apprendre à Apprendre, 1987.

Les Exploits de l’incomparable Mulla Nasrudin, 1979.

Les Plaisanteries de l’incroyable Mulla Nasrudin, 1982.

Les subtilités de l’inimitable Mulla Nasrudin, 1996.

ÉDITIONS DU ROCHER, PARIS.

Sages d’Orient, 1989.

Contes initiatiques des soufis, 1993.

Le monastère magique, 1995.

Chercheur de vérité, aux Éditions Albin Michel, Paris, 1984.

Kara Koush, aux Éditions Stock, Paris, 1987.

RENCONTRES ET ENTRETIENS AVEC IDRIES SHAH

Voyages avec un maître soufi, Bashir Dervish,

Éditions Flammarion, Paris, 1981.

Avec les derviches, Michael Burke,

Éditions Le Courrier du Livre, Paris.

ÉDITIONS ORIGINALES

MAISON D’éDITION THE OCTAGON PRESS, LONDRES.

Learning How to Learn, 1978-1983.

The Elephant in the dark, 1977.

Thinkers of the East 1971-1982.

Reflections, 1969-1988.

The Commanding Self, 1994.

A Veiled Gazelle, 1978.

Seeker After Truth, 1982-1992.

The Sufis 1964-1982.

The Way of the Sufi 1968-1980

Tales of the Dervishes 1967-1982.

The Book of the Book, s.d.

Neglected Aspects of Sufi Study, 1978.

Sufi Thought and Action,1990.

The Hundred Tales of Wisdom, 1978.

A Perfumed Scorpion, 1979.

Caravan of Dreams, 1968-1988.

Wisdom of the Idiots, 1969-1970.

The Magic Monastery, 1972-1981.

The Dermis Probe, 1970-1980

World Tales, 1991.

Special Illumination, 1978.

Evenings with Idries Shah, 1981.

Letters and Lectures of Idries Shah, 1981.

Observations, 1982.

Oriental Magic, 1956-1992.

The Natives are Restless, 1988.

Adventures, Fact and Fantasy in Darkest England, 1987.

Karakush, 1986.

LES CONTES DE MULLA NASRUDIN.

The Exploits of the Incomparable Mulla Nasrudin, 1983.

The Pleasantries of the Incredible Mulla Nasrudin, 1983.

The Subtleties of the Inimitable Mulla Nasrudin, 1983.

The Subtleties and the Exploits of Mulla Nasrudin, 1985.

Maison d’édition : Octagon Press Ltd, Londres, Angleterre.

Sites Internet : <http://www.bookshop.co.uk/octagon/>

<http://www.clearlight.com/~sufi/>