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Pourquoi j’irai dimanche au rassemblement citoyen contre l’antisémitisme, par Michèle Fitoussi


Michèle Fitoussi est journaliste et romancière.

Je ne suis pas du genre à aimer défiler, je ne suis pas du genre à me victimiser. A la « communauté », je préfère les mélanges, l’ouverture, la mixité. Moi non plus, je n’aime ni les conclusions hâtives, ni les « amalgames ». Mais depuis que l’on a retrouvé, Ilan Halimi, 23 ans, agonisant sur une voie de chemin de fer, je cauchemarde.

Pour moi, cette histoire n’est pas un fait divers ordinaire. C’est une tragédie et c’est une honte. C’est un événement terrible dont l’onde de choc nous secouera encore longtemps. Malheureusement, ce n’est ni le début ni la fin de quelque chose. C’est le mal qui se banalise et qui suit son petit chemin de haine dans les têtes et dans les coeurs et qui gagne du terrain chaque jour un peu plus.

La mort d’Ilan est un cauchemar pour tout être humain, vivant dans un pays démocratique. Le matin du 21 janvier, Ilan était un jeune homme sympathique ( qu’avait-il dans ses poches ce jour là, un portable, un paquet de cigarettes, un préservatif parce qu’il espérait que ce rendez -vous galant aurait une issue heureuse ? ). Le soir, Ilan devenait un sous-homme Je pense à ce qu’il a pu vivre, ressentir. Sa mise à nu, sa mise à mort. Les insultes. Les coups. Les brûlures . L’arme blanche.

La mort d’Ilan est un cauchemar pour des parents aimants. La semaine où on a retrouvé son corps, j’ai pensé à mes enfants qui ont son âge, à leurs amis que j’ai vu grandir aussi. J’ai pensé à tout ce qu’il faut d’amour, de patience, d’efforts, pour faire de son enfant un homme ou une femme dignes de ce nom. J’ai eu des images devant les yeux, toutes ces nuits où je ne pouvais pas dormir. Trop sensible et tant pis, je le revendique. Des clichés, sans doute: un gâteau avec des bougies, une chute à vélo, des histoires avant de dormir, des baisers, des réprimandes pour un mauvais carnet, des matches de foot, un appareil dentaire, des inquiétudes. J’ai pensé à tout ce petit monde que Ilan portait en lui, à ces monceaux d’amour et de tendresse mis à mort avec tant de haine, par des garçons, des filles, dont certains étaient plus jeunes que leur victime.

J’ai pensé encore au visage radieux d’ Ilan le jour de sa bar-mitzvah,.A la fierté de sa famille. Et je me suis révoltée contre ces propos prononcés avant même que la juge d’instruction retienne le crime antisémite comme cause aggravante de sa mort « C’est un crime crapuleux, pas antisémite. Il a été enlevé parce que ces jeunes pensaient que les juifs sont riches et que sa communauté paiera ».

La mort d’Ilan est un cauchemar pour les juifs de France, une impression atroce de « déjà vu », « déjà subi ». Si la haine du juif ne commence pas par ce cliché de supposée richesse, alors qu’est-ce qui est antisémite ?Si enlever un homme parce qu’il est juif et que sa communauté doit payer pour lui ne relève pas de l’antisémitisme, alors que faut-il de plus ? La preuve écrite, en trois exemplaires, qu’une cigarette a été écrasée sur son front parce qu’il était juif ? Sa photo, les yeux bandés, dans un simulacre d’éxecution à la Daniel Pearl ? Ce n’est sans doute pas l’antisémitisme « seul » qui a déchainé cette bande de sadiques. C’est hélas la nature humaine dans ce qu’elle a de plus misérable. Mais c’est aussi l’amalgame mille fois dénoncé au point que cela finit par lasser : ces images de guerre à la télé, en boucle, les menaces islamistes, l’antisionisme nouvel antisémitisme, les appels à la haine sur Internet, les sketches douteux, les papiers complaisants, les livres qu’on publie parce qu’au nom de la fiction, on peut tout écrire, les mots qui ne tuent plus, la banalisation de la violence, l’école qui ne transmet plus les valeurs de la République, le climat délétère dans lequel nous baignons depuis trop longtemps. Ce n’est pas sa communauté qui a « payé » pour Ilan, mais Ilan qui a payé pour sa communauté.

Ilan a-t-il été tué parce qu’il était juif ? Si oui, sans haine, sans vengeance, sans crispation, sans qu’au nom de sa mort on dresse les citoyens de ce pays les uns contre les autres, il faut que cela soit dit clairement. Il faut que la justice soit rendue au nom de tous, juifs et non juifs.

Car la mort d’Ilan est aussi un cauchemar pour la France. Une atteinte à ses valeurs, ses croyances. Il faut que cesse cette banalisation du mal, du racisme, de l’antisémitisme, qui pourrit la société entière et qui nous concerne tous. Lorsque Sohane, 17 ans, a été brûlée vive par une bande de caïds parce qu’elle était une fille et qu’elle se voulait libre, cela aussi me concernait. J’ai écrit pour Sohane, manifesté pour Sohane, soutenu « Ni Putes ni Soumises » », l’association créée après sa mort par Fadela Amara et ses amis. Si Ilan s’était appelé François, Mohammed, Babacar, et qu’il avait été enlevé, torturé, mis à mort, pour ce qu’il représentait, j’irai aussi manifester. Dimanche, il faut TOUS y être, pour défendre ces valeurs qui sont les nôtres, ce pays qui est le nôtre. Parce que j’y crois encore ( un peu), moi j’y serai.

La manifestation partira à 15H00 place de la République vers la Nation en passant par le boulevard Voltaire où était situé le magasin employant Ilan Halimi

Source : ven. 24 févr. 2006, ceci est un courriel envoyé par Michèle a ses amis, il est reproduit ici avec l’accord de 35 heures (blog). Photo Natacha QS.

3 commentaires

[…] Des points de vue intéressants : La gauche sectariste de la manif, par Sylvain Attal. Pourquoi j’irai dimanche au rassemblement citoyen contre l’antisémitisme, par Michèle Fitoussi. […]

Merci d’avoir déposé cette lettre ici.
Elle aurait pu l’être aussi dans la rubrique « De la tendresse dans un monde de brûtes ».
Ce regard d’une mère pour un fils, Ilan, me bouleverse, peut-être parce qu’il est, simplement, humain. Et que nous en avons un si grand besoin.
Comment peut-on alors ne pas se sentir concerné ?
Ce fils juif est notre fils à tous. Hier, aujourd’hui. Demain ?

Vous ne lisez pas « Le Figaro » ? Vous avez tort, c’est toujours intéressant de lire des journaux de plusieurs tendances. Cette chronique sonne juste à mes oreilles, je suis d’accord, et j’aurais tant aimé que nous le soyons tous.

« Qualifier l’inqualifiable » la chronique d’Alain-Gérard Slama
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