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Accueil > Revue Intemporelle > No7 - Bonnes nouvelles pour des temps difficiles

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Des idées toutes fêtes

Jean-Paul Favand


Les Humains associés : Est-ce que pour toi la situation dans laquelle nous sommes est une période d'opportunité ?
Jean-Paul Favand : Je crois que c'est dans les moments tourmentés que les gens ont la faculté de s'exprimer, que la véritable nature de chacun peut ressortir. Tant, malheureusement, dans la guerre, que dans la guerre économique, puisque c'est ce dont il s'agit en ce moment.

Le système tel qu'il a existé depuis plusieurs générations, s'effondre. Les structures administratives et économiques ne peuvent plus répondre aux besoins d'une époque, il faut donc que de nouvelles formes d'adaptation existent.

Et elles proviennent, dans ces moments-là, de gens qui vivent en marge du système. C'est-à-dire qui sont les plus aptes à survivre, à considérer les choses, et qui ont déjà trouvé à s'adapter, connaissant la technique française du système D.

La plupart des gens croient que le travail alternatif va être une solution au chômage. Ça aussi c'est un travail de la marge.

Je pense que la France va devenir un petit peu comme l'Italie, en fonctionnant économiquement à deux vitesses, avec des gens qui vont se débrouiller parallèlement à ceux qui fonctionnent dans le cadre de l'institution.

Alors, dans le contexte actuel où tout le monde dit : "Il n'y a pas de bonnes nouvelles, tout va mal !", où personne ne bouge, surtout ceux qui ont de l'argent par peur de le perdre, tu t'installes dans trois mille mètres carrés, et tu as fait un lieu qui est merveilleux, quelque chose de beau, de grand et de fou ! (Le musée des arts forains de Jean-Paul Favand est provisoirement présenté dans un espace féérique de trois mille cinq cents mètres carrés, rue de l'Église à Paris. Cependant sa destinée est d'être Ce musée vivant regroupe seize boutiques foraines et quatorze manèges restaurés, en état de fonctionnement, constituant une des plus grandes collections au monde couvrant l'histoire de la fête foraine de 1850 à nos jours. NDLR)
J'ai envie de dire que c'est une bonne nouvelle, mais c'est surtout de l'inconscience. La bonne nouvelle c'est le résultat, mais elle ne me concerne pas parce que j'en suis l'acteur, celui qui fait.

J'estime que j'accouche en permanence dans la douleur. Je ne suis pas forcément heureux, parce que je me suis collé de faux problèmes, et que si je ne me voilais pas les yeux avec, je trouverais tout rose.

Si tu veux dire que c'est un lieu de rêve, que c'est un beau spectacle, oui, je crois que c'est équilibré, harmonieux. Je pense que les gens s'y sentent bien, et je vois à leur tête que j'ai réussi.

Mais je peux l'amener encore plus loin, je voudrais qu'il soit accueilli définitivement dans un site. À l'extrême, ils n'en ont pas besoin, ce sont des exigences personnelles, je cherche toujours et je ressens l'imperfection.

Il n'y a qu'en allant à la perfection absolue que la démarche sera incontestable. J'essaye de briser l'immobilisme, parce que je fais de la conservation - et dans le système français c'est l'école de Chartres, c'est ce qu'il y a de plus institutionalisé, ce que je veux c'est que cela devienne tellement important, même essentiel malgré ses aspects de futilité, qu'on soit obligé de l'accepter, que ça bouscule les barrières.

C'est ce que je veux essayer de faire, et pas nécessairement en restant dans ce lieu. Donc, dans l'absolu c'est positif, mais pas pour moi. Je voulais faire un musée, un lieu culturel qui montre la vulgarisation scientifique par les forains, mais qui ait aussi une application dans le futur, parce que je trouve qu'il n'y a pas d'utilité à ne regarder que le passé, si on ne s'en sert pas pour le futur.

Au lieu de travailler sur le musée, je monte un lieu de reception privilégié, événementiel, pour y recevoir les V.I.P. que je suis très content d'accueillir parce qu'ils me font vivre, pour ce qui relève des questions d'argent.

Tous les artistes, les intellectuels, et les conservateurs qui sont passés par ici m'ont dit du lieu : "c'est fantastique ce que vous avez fait, c'est intéressant et il faut continuer".

C'est sûr "qu'il faut continuer", mais ils ne le font pas à ma place. Dans ces conditions, je pense qu'il y avait des risques ; j'aurais pu me tromper, et j'ai réussi.

Mais il n'en reste pas moins qu'un coup réussi dans notre société, semble-t-il, n'a pas le droit de survivre. Il semble qu'il n'y ait que les coups tordus qui marchent.

Ce qu'il faut savoir, c'est que les gens qui travaillent sur la fête ne font absolument pas la fête, parce qu'ils n'en ont pas le temps (rire).

Il y a une théorie dans le spectacle qui est qu'on ne doit pas y voir la sueur. Quand on voit le spectacle, tout à l'air d'aller bien.

Mais derrière, celui qui l'organise rame un maximum. Donc, ce n'est pas forcément une bonne nouvelle pour moi, sauf si j'étais invité aux fêtes des autres.

Qu'est-ce qui peut être vecteur d'espérance, justement à présent, alors que la crise est la plus forte.
Après la mort, la renaissance ! Je crois que nous sommes en train de mourir. Il faut donc que l'on se tourne maintenant vers le côté de la renaissance et on ne peut qu'y trouver des choses plus belles que dans le passé.

Les périodes tourmentées accouchent d'une nouvelle période. Le problème que nous avons actuellement, c'est cette adaptation et cette recherche d'une nouvelle période.

Nous avons donc un passage peut-être difficile, mais il y a une belle aventure qui s'offre à tout le monde. Les gens sont obligés de bouger, de sortir de leur léthargie.

Ce n'est peut-être pas encore suffisant, peut-être faudra-t-il que nous ayons encore quelques problèmes de plus pour que les gens cassent le carcan d'assistanat, de déresponsabilisation, de manque de créativité dans lequel ils se sont englués, parce que la solution va venir de là.

Quand on touche le fond, et nous n'en sommes pas loin, on remonte et mon espoir c'est ce renouveau. Je pense que c'est un espoir qu'ont eu la plupart de ceux qui ont vécu Mai 68. Il y a eu un grand bordel et nous nous sommes dit : "Il va y avoir quelque chose".

Mais ce qu'on pouvait attendre après Mai 68 n'était pas bâti sur un tourment suffisant. Il fallait que les choses soient encore plus profondes. C'était une période économiquement positive, résultat les gens ne se sont pas remis en question.

Je trouve qu'une partie de la crise est positive dans la mesure où c'est un redressement de certaines choses, qui consiste en "cassages de gueule" de toutes les valeurs qui ont été surinflationnées à travers la publicité, entre autres. La publicité a poussé à la consommation dans un certain sens, les gens se sont tournés vers des produits de manière purement fictive et non pas par besoin.

Prenons comme exemple l'art. L'art est monté à des prix, à cause de la spéculation, qui ont dépassé la raison et la logique des prix. C'est normal que ça se soit cassé la gueule. C'est très sain, maintenant on regarde les choses avec un oeil plus vrai.

Tu parlais des gens de la marge et du système D. Est-ce que tu te considères comme quelqu'un de la marge ? Si oui, penses-tu que les marginaux puissent apporter des solutions parce qu'ils ont su s'adapter ?
J'ai rencontré des gens importants, aussi bien sur le plan politique, administratif, qu'économique. Tous considèrent aujourd'hui que le système est fini, caduc, et ils ne font que le maintenir en survie, uniquement de façon à toucher leur salaire à la fin du mois, ils ne visionnent pas le futur.

Revenons à ma question (rire). Est-ce que oui ou non, tu te considères comme quelqu'un en marge ?
Complètement, complètement ! Je pense que mes actions et mon travail, dans tous les domaines que j'ai abordés, ont toujours été marginaux et encore plus ce que je fais maintenant.

Alors, nous ne nous sommes pas trompés ! Que peux-tu partager et dire de ton expérience à ceux qui sont ou étaient dans le système et qui ne savent pas comment s'en sortir ?
J'ai rencontré des responsables de haut niveau en leur proposant des solutions, mais ils m'ont aussitôt répondu : "Ce n'est pas mûr. Un gros travail d'information manque.

Les mentalités doivent changer, et tant qu'elles ne l'auront pas été, nous n'arriverons pas à faire passer ces messages, par exemple d'économie de fonctionnement."

Moi, mon musée je l'ai complètement monté à partir de récupérations. La moquette je suis allé la chercher après une exposition, porte de Versailles. L'éclairage fonctionne avec les néons qui étaient sur place, ça coûte moins cher que d'acheter des projecteurs, ça consomme moins, etc.

Je travaille de cette manière. Le double de ce que j'ai investi, pour le musée, aurait été nécessaire en passant par l'institution.

Conséquence, cela ne pourrait pas se faire, parce que ceux qui passent par la voie institutionnelle ne sont pas encore habitués à fonctionner comme je le fais. D'abord, parce qu'ils ne sont pas responsables.

Moi je ne suis responsable que vis-à-vis de moi- même. C'est le problème d'être directement concerné dans son propre portefeuille. À partir de là, on change de technique.

Peut-être dans sa conscience d'abord ?
Sincèrement, je crois vraiment qu'il faut que ça passe par le portefeuille. Le jour où ils sauront que c'est eux qui seront touchés, ils se poseront vraiment des questions.

C'est pour ça que je te dis qu'il faut que ça se casse la gueule, il faut qu'on se pose le problème : "et si on fonctionnait autrement ?" Effectivement, je suis de la marge, et il y a autre chose qui m'apparaît : les gens de la marge voient des choses que les gens qui sont dedans ne voient plus. Actuellement, on parle d'évidences dans beaucoup de domaines, et on les répète pendant dix ans.

Tu parles d'institutions, mais comment chaque citoyen peut-il interagir ?
Je dis que l'institution telle qu'elle est ne peut plus fonctionner, tous les rouages sont coincés.

Il faut que des gens venus de systèmes parallèles se mettent en place. Mais quand je dis la marge, la marge est grande.

Mais il y a pas mal d'associations de gens qui localement font des choses aussi, sans qu'ils soient dans le système...
Oui !... Le système associatif, à mon avis, va énormément fonctionner dans le futur.

Mais même ce système-là a un problème énorme en ce moment, c'est qu'ils ont tous des initiatives, chacun dans son coin, et que si on fédérait un minimum...

Nous sommes en train de fédérer...
...Et s'il y avait un minimum de communication dans les systèmes associatifs et pas seulement humanitaires... Un système remplacera toujours un autre système, le seul problème c'est qu'il faut espérer qu'il sera meilleur que le précédent pendant au moins un temps.

Nous sommes trop d'individus sur Terre, et ça ne peut fonctionner qu'avec une forme de structure. Quoi qu'il arrive, il ne pourra pas y avoir que des individus.

Je crois que c'est Durkheim qui dit qu'il y a une grande différence entre chaque conscience prise individuellement et l'addition des consciences. Nous sommes à l'addition des consciences.

Tous les individus effectivement peuvent faire des choses très belles dans leur coin, mais à partir du moment où tu en additionnes, ce n'est plus à la même entité que tu as affaire...

L'évolution des consciences est un processus à long terme...
Oui, je suis d'accord, mais elles évolueront toujours avec un temps de retard sur le présent.

Que pourrais-tu dire à quelqu'un qui a vingt ans aujourd'hui et qui ne veut pas rentrer dans le système, par rapport à ton expérience de marginal justement ?
J'ai fait des études pour être notaire. Le notaire c'est l'image d'une personne intégrée. Peu de temps avant d'être notaire, j'ai arrêté pour fonctionner sur un autre système, celui de la brocante.

Ça m'a forcé à me débrouiller, à agir par moi-même. Je crois qu'aujourd'hui il faut surtout avoir une culture générale et se lancer dans l'action. Tu me poses une question difficile, parce que j'imagine que le gars de vingt ans qui veut se lancer dans l'action va se dire "qu'est-ce que je vais faire?"; et je peux très difficilement me mettre à sa place, parce que lorsque j'avais vingt ans, j'avais dix fois plus à faire que ce que j'étais capable de faire tout seul puisque je générais le travail.

C'était à l'époque fantastique post-68 des hippies et des mecs qui voyageaient et avaient des idées en se frottant aux autres.

Ils faisaient leur humanité !
Ils faisaient leur humanité. Aujourd'hui, on crée des mécaniques stéréotypées de gens qui ont des diplômes et qui ne savent plus quoi en faire.

C'est bien qu'ils aient des diplômes, c'est bien qu'ils aient une culture générale, et c'est très important. Je trouve qu'on manque maintenant de culture, et le problème c'est d'être un spécialiste; on en a trop, ils sont coincés.

Lorsqu'ils sont obligés de bosser à côté c'est fini, ils sont paumés parce qu'ils ne savent pas ce qui s'y passe.

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